La guerre d’Ukraine : "Il faut prendre toutes les mesures pour éviter une pénurie de pain"

La guerre d’Ukraine :
Source : Institut Marocain des Relations Internationales
05/04/2022 13:00

L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier a gravement atteint la sécurité alimentaire mondiale, notamment en ce qui concerne le blé.

En effet, la Russie et l’Ukraine représentent 1/3 des exportations mondiales de blé, qui s’élèvent à 190 millions de tonnes sur une production totale de 800 millions de tonnes. L’Ukraine exportait en moyenne 20 millions de tonnes de blé par an, soit 12% des exportations totales de cette céréale. Elle représentait également 15% des exportations mondiales de maïs, et 50% des besoins du monde en tournesol.
 
La Russie est devenue en 2016 le premier exportateur mondial de blé, et a représenté 20% des exportations mondiales dans le cumul de la période 2016-2021. Elle est suivie par l’Union européenne (16%), les Etats-Unis (15%), le Canada (13%), l’Ukraine (10%) et la France (9%).
 
La guerre d’Ukraine a mis à l’arrêt les ports de l’Ukraine sur la Mer noire, et immobilisé un stock de maïs (15 millions de tonnes) de blé (7 millions de tonnes) d’oléagineux (2 millions de tonnes) et d’orge (1 million de tonnes). Ce tonnage bloqué manque sur le marché mondial et a provoqué une augmentation vertigineuse des prix.
 
A titre d’exemple, le blé qui se vendait à 280 euros la tonne le 1 er janvier 2022 a atteint 387 euros le 28 mars 2022. De même, l’indice des prix alimentaires de la FAO a atteint un pic en février 2022 à hauteur de 140. La Russie du fait des sanctions qu’elle a subies, ne va pas pouvoir maintenir ses exportations de produits alimentaires au même niveau qu’avant le déclenchement de la guerre d’Ukraine.
 
Le stock mondial de blé en 2022 n’est pas suffisant pour couvrir les besoins jusqu’à la prochaine récolte de 2023. Il est estimé à 280 millions de tonnes couvrant 4 mois de consommation en moyenne. Il est inégalement réparti du fait que la Chine dispose d’une couverture de 12 mois, les Etats-Unis 11 mois, l’Inde 3 mois et l’Union européenne 1 mois.
 
Cette situation a provoqué beaucoup d’inquiétude parmi les pays importateurs de blé. Les plus gros importateurs sont l’Indonésie (10,3 millions de tonnes), la Turquie (9,7), la Chine (9,6), l’Egypte (9,0), l’Italie (8,0), l’Algérie (7,1), le Brésil (6,2), les Philippines (6,2), le Bengladesh (6,0) et le Nigéria (5,9). La situation est particulièrement vulnérable dans la région Mena (Afrique du Nord et Moyen-Orient).
 
Alors que la consommation annuelle de pain est en moyenne de 60 kg par habitant, elle est de 100 kg en Europe, 30 kg en Afrique Subsaharienne, et atteint entre 180 à 200 kg dans la région Mena. Les pays en développement subissent une double peine : une baisse de revenus du fait de la pandémie du Covid-19, et une forte augmentation des prix des produits alimentaires.
 
Déjà maintenant sur les 8 milliards de consommateurs que connait la planète, 2 milliards se nourrissent mal, et 1
milliard est sous-alimenté.
Afin d’augmenter la production de blé, l’Union européenne a libéré les terres en jachères qui représentent 4% des terres labourables. Certes cette mesure est bénéfique, mais ces terres en jachères sont moins productives, et le coût des intrants peut limiter le développement.
 
En outre, 26 pays dépendent à plus de 50% de la Russie et de l’Ukraine pour leurs importations de blé. Parmi eux beaucoup de pays africains : Erythrée, Somalie, Seychelles, République démocratique du Congo, Madagascar, Egypte, Benin, Congo, Tanzanie, Libye, Liberia, Rwanda, Namibie, Sénégal.
 
Enfin le prix de revient de la tonne de blé atteint actuellement 300 euros du fait de l’augmentation du prix des intrants : engrais et carburants. Aussi il faut s’attendre la prochaine saison à un prix au moins de 350 euros la tonne pour rémunérer les producteurs et les intermédiaires.
 
Notre pays le Maroc est également un grand importateur de produits alimentaires. C’est ainsi qu’en 2019 le Maroc a importé 3,8 millions de tonnes de blé, 2,7 millions de tonnes de maïs, 1,2 million de tonnes de sucre et 29.000 tonnes de graines et fruits oléagineux.
 
La valeur des importations de ces cinq produits s’est élevée à 23,6 milliards de Dh. En outre, l’importation de ces produits est corolée avec la production locale qui est très variable selon le niveau et la répartition de la pluviométrie.
 
Le Maroc a importé en 2021 d’Ukraine 2,6 milliards de Dh de céréales (blé, orge, grains de céréales), ce qui représente 26% de ses importations totales de ces produits.
Du fait de la guerre d’Ukraine et de la mauvaise récolte locale, le Maroc a importé 805.000 tonnes de blé en janvier 2022 contre 338.000 tonnes en janvier 2021. De ce fait, il dispose d’un stock en céréale et blé tendre jusqu’à
septembre 2022.
 
En cas de fermeture totale du marché ukrainien, le Maroc peut s’adresser à d’autres fournisseurs : le Brésil, l’Argentine, les Etats-Unis pour le blé tendre et la France, le Royaume-Uni, le Canada pour le blé dur. A cause de la guerre d’Ukraine, les prix des céréales et des autres produits alimentaires vont connaitre une hausse importante au cours de cette année 2022.
 
En conclusion, le pain étant un aliment de base, il faut prendre toutes les mesures pour éviter à tout prix la pénurie. Le blé est utilisé à 90% pour la production de farine pour le pain, alors que le maïs et le soja sont utilisés aussi pour la nourriture animale. Dans le passé, il y a eu dans certains pays « des émeutes du pain » qu’il faut absolument éviter actuellement où le monde traverse une période profondément troublée.
 
Il faut surtout approvisionner les pays vulnérables en Afrique et en Asie. On peut saluer à cet égard le Sommet du G7 qui s’est tenu à Bruxelles le 24 mars 2022 et qui a décidé plusieurs mesures pour éviter la famine dans certains pays. C’est ainsi que les Etats-Unis ont annoncé qu’ils allaient consacrer 11 milliards de dollars les cinq prochaines années pour répondre aux menaces sur la sécurité alimentaire et la malnutrition dans le monde.
 
Le Sommet a également discuté de la suspension de toutes les restrictions concernant les exportations alimentaires. Le Président Macron a proposé en lien avec l’Union africaine, un plan d’urgence de libéralisation des stocks en cas de crise alimentaire pour éviter toute pénurie et modérer la hausse de prix.
 
Le Président Macron a proposé également une action cet été pour préparer la campagne de céréalière 2022/2023 en vue d’augmenter la production. Il a également suggéré la mise en place d’un mécanisme d’allocation des volumes de céréales pour garantir un accès de tous, en particulier les plus vulnérables en quantités suffisantes et prix raisonnables.
 
L’Union européenne a prévu de son côté de consacrer 2,5 milliards d’euros à un programme de coopération internationale en matière de nutrition pour soutenir les systèmes alimentaires de quelques 70 pays partenaires.
 
Les autorités marocaines doivent également en toute urgence approvisionner le pays en céréales, et subventionner les opérateurs afin que le prix du pain ne change pas. A moyen et long terme, elles doivent orienter l’agriculture marocaine vers l’augmentation de la production des produits alimentaires afin d’éviter ou de réduire les importations.
 
Par Jawad Kerdoudi
Président de l’IMRI

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