Journée mondiale de lutte contre le Sida : Interview avec Mehdi Karkouri, le Président de l'ALCS

Journée mondiale de lutte contre le Sida : Interview avec Mehdi Karkouri, le Président de l'ALCS
Source : Map
30/11/2022 16:00

Alors que le Sida ne cesse de se propager partout dans le monde, la question de la prévention et de la lutte contre cette maladie demeure l'une des plus récurrentes. Dans un entretien accordé à la MAP à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le Sida (1er décembre), le président de l’Association de Lutte Contre le Sida (ALCS) et de Coalition PLUS, Pr Mehdi Karkouri, revient sur les modes de transmission de la maladie, explique les stades d’évolution de l’infection par le VIH et interpelle sur les idées reçues qui circulent par rapport au Sida.

Par ailleurs, Pr Karkouri met en lumière le rôle de l’ALCS dans l’information, la sensibilisation et la prévention des infections par le VIH, tout en mettant en avant les efforts consentis par le Maroc en faveur de la prise en charge des personnes séropositives.

L’infection par le VIH passe par plusieurs stades. A partir de quel moment on parle de SIDA ? Et quels sont les modes de transmission de la maladie ?

Le stade sida est le dernier stade d’évolution de l’infection à VIH, qui passe par 3 stades successifs en l’absence de traitement. Le premier Stade, celui de la primo-infection, est symptomatique avec quelques signes peu spécifiques (fièvre par exemple, diarrhée, ou même rien du tout) et qui passe souvent inaperçue.

Le deuxième stade est la phase de latence (symptômes généraux ou pas de symptômes). Au cours de cette phase, le virus est en train de détruire les défenses immunitaires de la personne.

La troisième phase est celle du sida. Au cours de ce stade, les infectons opportunistes (bactéries mycose, certains cancers) commencent à apparaître et menacent la vie de la personne. Ceci, bien sûr, en l’absence de traitement. Le traitement institué à temps permet d’empêcher de passer au stade sida.

Le VIH (virus de l’immunodéficience humain) se transmet par 3 voies seulement : par les relations sexuelles sans protection, par le sang (par exemple, utilisation d’instruments tranchants) et de la femme enceinte à son bébé. Il est important de noter qu’aucune autre voie de transmission n’existe (les gestes de la vie courante, comme se serrer la main, manger dans la même assiette, travailler dans le même bureau, aller au hammam…).

Aujourd’hui, il est devenu possible de vivre avec le sida. Une personne séropositive peut donc être en bonne santé ?

Oui, absolument. Grâce au traitement qu’on appelle « antirétroviral », ou encore « trithérapie » (parce qu’il s’agit d’une combinaison de 3 médicaments), les personnes vivant avec le VIH peuvent aujourd’hui mener une vie normale et être en excellente santé. Il convient de souligner que le traitement antirétroviral ne permet pas de se débarrasser du virus mais permet de le contenir et de l’empêcher de se développer à un niveau tellement faible qu’il devient indétectable.

Si on arrête le traitement, l’infection reprend bien sûr et l’adhérence au traitement est très importante. Sous traitement, le niveau de virus dans le corps de la personne vivant avec le VIH devient tellement faible qu’elle ne transmet plus le virus aux autres, ce qui est une avancée très importante et permet, par exemple, à une personne vivant avec le VIH d’avoir des enfants séronégatifs, ou à un couple sérodiscordant (un partenaire est séropositif et l’autre est séronégatif) de vivre ensemble et même d’avoir des relations sexuelles non protégées sans peur de contamination. C’est dire l’efficacité du traitement antirétroviral. Mais, il faut le prendre régulièrement et de façon continue.

Quelles sont les idées reçues qui persistent encore sur le VIH/SIDA ?

Ce sont toujours les mêmes idées reçues qui circulent dans la société plus de 40 ans après le début de l’épidémie : les fausses informations sur les moyens de transmission, générant une phobie contre les personnes vivant avec le VIH (peur d’être contaminé en se trouvant dans le même endroit qu’une personne vivant avec le VIH ou d’utiliser le même verre ou la même assiette, ou juste en serrant la main…), ce qui est totalement faux puisqu’on sait exactement aujourd’hui comment se transmet le virus.

Ces fausses informations nourrissent la stigmatisation et l’exclusion des personnes vivant avec le VIH (…). Une autre idée reçue serait que l’infection à VIH est une punition divine pour châtier un comportement inacceptable par la société et la religion. La maladie n’est jamais une punition divine et, par exemple, une étude du Ministère de la Santé avait montré que près de 70% des femmes infectées par le VIH au Maroc l’avaient été dans le cadre de la relation conjugale.

D’après une étude sur l’indice de stigmatisation des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) réalisée en 2016 par le ministère de la santé et de la protection sociale, et dans laquelle l’ALCS était impliquée, près de 50,2% étaient victimes d’attitudes discriminantes et près de 41,2% s’étaient vues refuser des soins.

Les résultats préliminaires d’une étude similaire conduite en 2022 a montré que près de 19% des PVVIH avaient vécu des expériences de stigmatisation en milieu de soins et près de 58% s’auto-stigmatisent. Il faut donc démonter ces mythes qui ne font que renforcer l’exclusion des personnes avec le VIH et empêchent que les efforts de lutte contre le sida ne soient totalement efficaces.

En quoi consiste le rôle de l’ALCS et Coalition PLUS dans l’information, la sensibilisation et la prévention des infections par le VIH ?

L’ALCS, à travers sa large couverture du territoire national (19 sections et 5 unités mobiles de dépistage et de prévention) contribue à hauteur de 70% des objectifs nationaux en matière de prévention combinée du VIH/sida en direction des populations clés les plus exposées aux risques d’infection.

Nous sommes sur la prévention (dépistage, consultations IST, prophylaxie pré-exposition, réduction des risques auprès des usages de drogue par voie injectable, sensibilisation et éducation…), le soutien à la prise en charge (médiation thérapeutique en faveur de l’adhérence au traitement, accompagnement des personnes nouvellement dépistées) et l’accompagnement des personnes vivant avec le VIH (soutien psycho-social, soutien juridique, accès aux droits élémentaires…).

En 2021, nous avons touché 67.000 personnes appartenant aux populations clés par des actions de prévention, réalisé 30.239 tests VIH, 10.103 tests de la syphilis, 580 tests VHC et 8.488 consultations pour infections sexuellement transmissibles et distribué 638 autotests VIH pour les personnes éloignées des centres de dépistage ou bien qui ne pouvaient pas se rendre à ses locaux pour se faire dépister.

Nos actions ont permis de dépister 519 personnes séropositives au VIH, soit 32,4% des cas dépistés au Maroc en 2021 et nous avons fourni 19.300 prestations au profit de 7.000 personnes vivant avec le VIH. Enfin, en termes de plaidoyer pour améliorer l’environnement d’intervention, nous avons mené plusieurs actions en faveur de l’inclusion de toutes les populations clés dans la couverture sanitaire universelle et plusieurs actions pour la sensibilisation des juges, des procureurs du Roi, des officiers de la police judiciaire, de la gendarmerie royale, des forces auxiliaires et des exécutants de la loi sur la prévention du VIH/sida et les différents obstacles d’accès aux soins pour les populations clés.

Les personnes dont le test se révèle positif sont accompagnées par les agents communautaires de l’ALCS vers le centre de prise en charge le plus proche : soit physiquement (l’accès à l’hôpital peut parfois être difficile et les médiateurs peuvent accompagner les personnes physiquement jusqu’à la consultation du médecin spécialiste) ou encore en prenant les rendez-vous de consultation directement.

De cette façon, la personne n’est pas perdue et peut facilement être connectée avec le système de soins qui se trouve à l’hôpital. Par ailleurs, nous disposons aussi (malheureusement pas partout à cause d’un problème de moyens) de psychologues qui interviennent pour aider les personnes nouvellement diagnostiquées à gérer et accepter leur infection et les soutenir psychologiquement.

Parfois, en raison de la vulnérabilité économique et de l’éloignement du centre de prise en charge (par exemple, pour les habitants de la campagne), la personne n’a même pas de quoi payer le transport jusqu’à l’hôpital, ce que nous faisons alors pour que la personne ne soit pas perdue de vue et puisse bénéficier des traitements dont on a déjà vu l’efficacité.

Par ailleurs, l’ALCS est membre fondateur de Coalition Plus, une Coalition Internationale d’associations de lutte contre le Sida, qui intervient dans près de 50 pays auprès d’une centaine d’associations partenaires qu’elle renforce pour une meilleure implication des communautés concernées dans l’effort de lutte contre le sida, pour offrir des services différenciés et de qualité pour les populations clés et pour qu’elle participent pleinement dans l’élaboration des politiques nationales et régionales de lutte contre le sida.

Comment œuvre le Maroc à la prise en charge des personnes porteuses du VIH ?

Le Maroc dispose d’une excellente stratégie de lutte contre l’infection à VIH et il est souvent cité en exemple dans la région MENA. A titre d’exemple, et si on exclut les années Covid, le Maroc a été quasiment le seul pays à réduire le nombre des nouvelles infections année après année (le nombre des nouvelles infections a été réduit de 48% et les décès liés au sida de 58% depuis 2010 alors que ces taux ont fortement augmenté en région MENA durant la même période).

Les programmes sont innovants et relativement efficaces. Il existe une large concertation entre les différents intervenants, notamment le ministère de la Santé et de la Protection sociale, la société civile, les donneurs internationaux…Toutefois, les moyens alloués sont encore insuffisants et nous avons encore de nombreux besoins non couverts, surtout que les financements internationaux de la lutte contre le sida sont en train de se réduire et se pose la question de la pérennité du financement de la lutte contre la maladie.

Propos recueillis par Mohamed Achraf Laaraj

Recherche
Newsletter
Conformément à la loi 09-08, vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et d’opposition au traitement de vos données personnelles.
Ce traitement a été autorisé par la CNDP sous le n° D-W-343/2017

*: champ obligatoire

Météo Plus

En bref Voir plus

Les articles les plus lus

Buzz

En poursuivant votre navigation sur notre site internet, vous acceptez que des cookies soient placés sur votre terminal. Ces cookies sont utilisés pour faciliter votre navigation, vous proposer des offres adaptées et permettre l'élaboration de statistiques. Pour obtenir plus d'informations sur les cookies, vous pouvez consulter notre Notice légale

Restez informé. Acceptez-vous de recevoir nos notifications ?