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Au Cern, des atomes d'antimatière manipulés pour la première fois au laser

Les membres de la collaboration ALPHA, basée au Cern, ont annoncé avoir réussi à refroidir pour la première fois un échantillon d’antimatière à un niveau proche du zéro absolu, grâce à un système laser. De quoi faire avancer considérablement la recherche sur l'antimatière et ses mystères.

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Illustration artistique du mouvement d'un atome d'antihydrogène dans le piège magnétique ALPHA, avant (gris) et après (bleu) le refroidissement par laser. Les images montrent différentes longueurs de la trajectoire de l'antihydrogène.

Une iIllustration du mouvement d'un atome d'antihydrogène dans le piège magnétique ALPHA, avant (gris) et après (bleu) le refroidissement par laser. Les images montrent différentes longueurs de la trajectoire de l'antihydrogène.

Chukman So/TRIUMF

Jamais l’antimatière n’avait été triturée sous le faisceau d’un laser. C’est désormais chose faite : la collaboration ALPHA, pour Antihydrogen Laser PHysics Apparatus, basée au Cern, a annoncé la première manipulation d’antimatière par laser au monde dans le but d’en refroidir un échantillon à un niveau proche du zéro absolu. La prouesse, qui fait l’objet de la couverture de la revue Nature mercredi 31 mars 2021, "modifiera considérablement le paysage de la recherche sur l'antimatière et fera progresser la prochaine génération d’expériences", ont annoncé dans leur communiqué les physiciens membres d’ALPHA, expérience active depuis 2005 à laquelle participe un grand nombre d'institutions différentes.

Résoudre l'énigme de l'antimatière

Derrière ces résultats, l’espoir de résoudre un jour des mystères que les chercheurs les plus chevronnés n’arrivent toujours pas à percer : si à chaque particule de matière correspond une antiparticule, où sont donc passées ces antiparticules que l’on observe que de façon extrêmement rare dans l’Univers ? Comment l'antimatière réagit-elle à la gravité ? Peut-elle nous aider à comprendre les symétries en physique ?

Zéro absolu ? C'est la température la plus basse qui puisse exister, selon les lois de la thermodynamique. Elle équivaut à −273,15 °C. En physique quantique, la matière au zéro absolu se trouve dans son état fondamental, c'est à dire à son point d'énergie interne minimale. Elle peut aussi à cette température présenter des effets quantiques tels que la supraconductivité ou la superfluidité.

Pour bien saisir les enjeux derrière cette annonce de manipulation d’antiparticule au laser, il est nécessaire de rappeler ce qu’est l’antimatière. Selon le modèle cosmologique standard, lors du Big Bang, il s’est formé autant de matière que d’antimatière. Mais cette symétrie a été brisée pour aboutir à l’Univers tel que nous le connaissons aujourd’hui : un monde où la matière domine. Depuis, l’anti-matière n’apparaît — et donc ne s’observe — qu’au cours des collisions entre particules, soit au sein des accélérateurs de particules, soit lors de l’impact des rayons cosmiques. Plus problématique encore, les atomes d’antimatière s'annihilent au contact de la matière ! De quoi les rendre particulièrement difficiles à créer et à contrôler. C’est donc là tout l’intérêt du froid : à une température proche du zéro absolu, les atomes se "calment", et peuvent donc apparaître plus longtemps lorsqu'ils sont piégés magnétiquement.

Refroidir pour mieux observer

Après avoir réussi à créer et piéger en 2011 de l’anti-hydrogène pendant mille secondes — un record mondial—, ALPHA continue de manipuler des anti-atomes pour en traquer les secrets. Plus concrètement, son objectif est de tester ce que l’on appelle la symétrie CPT, pour Charge, Particule et Temps — la fameuse symétrie entre matière et antimatière violée pour on ne sait quelle raison lors des premiers instants de l’Univers. "Nous étudions les symétries entre la matière et l'antimatière en effectuant des mesures de précision sur l'antihydrogène et en les comparant à l'hydrogène normal", résume pour Sciences et Avenir Makoto Fujiwara, physicien et porte-parole d'ALPHA-Canada, qui fut le premier à promouvoir l'idée du refroidissement d’anti-atomes par laser. Le tout dans l’espoir de saisir la raison pour laquelle l'Univers est principalement constitué de matière et non de parties égales de matière et d'antimatière comme le prédisent les modèles du Big Bang.

L’une des méthodes mises au point par la physique moderne pour étudier les atomes est précisément le refroidissement et la manipulation par laser. Introduite il y a 40 ans, la technique a révolutionné la discipline, au point de permettre la réalisation de plusieurs expériences couronnées par des prix Nobel. Mais comment un laser est-il capable de refroidir, lui qu'on imagine plutôt surchauffer la matière ? Soumis au laser, les atomes et anti-atomes absorbent les photons, puis les réémettent. Ce sont ces cycles "absorption-émission" répétés qui entraînent leur refroidissement et limitent leurs mouvements.

Près d’un demi-siècle plus tard, l’équipe de la collaboration ALPHA a donc franchi une nouvelle étape : appliquer cette manipulation par le froid à des anti-atomes. En refroidissant un échantillon d’atomes d’antihydrogène retenus dans un piège magnétique, l'équipe est donc parvenue à observer à plusieurs reprises, pendant plusieurs heures, les anti-atomes lors de leur passage du niveau d’énergie le plus bas (l’état 1S, ou état fondamendal) au niveau le plus élevé (2P), grâce à une lumière laser pulsée à une fréquence légèrement inférieure à celle de la transition entre ces deux états. Une grande quantité d’anti-atomes a ainsi atteint des énergies inférieures à un microélectronvolt, soit l’équivalent d’environ 0,012 °C au-dessus du zéro absolu en termes de température.

Vers une "fontaine d'anti-atomes" ?

"Les précisions des expériences en cours seront considérablement améliorées par le refroidissement par laser", explique Makoto Fujiwara. "Ce résultat ouvre le champ des possibles en matière d'expériences d'un genre entièrement nouveau, qui étaient auparavant impensables." Takamasa Momose, le chercheur de l'Université de Colombie-Britannique (UBC) au sein de l'équipe canadienne d'ALPHA (ALPHA-Canada) qui a dirigé le développement du laser, poursuit dans le communiqué : "Les résultats d'aujourd'hui sont l'aboutissement d'un programme de recherche et d'ingénierie de plusieurs années."

Les deux chercheurs travaillent actuellement sur un nouveau projet canadien, baptisé HAICU, qui vise à développer de nouvelles techniques quantiques pour l'étude de l'antimatière. "Mon prochain rêve est de créer une 'fontaine -' en lançant dans l'espace libre l'antimatière refroidie par laser. Une telle réalisation permettrait d'ouvrir la voie à une toute nouvelle catégorie de mesures quantiques, impensables jusqu'ici", confie Makoto Fujiwara, tout en ajoutant que pour le moment, "l'effort actuel se concentre sur la nouvelle expérience ALPHA-g, qui mesurera pour la première fois la force gravitationnelle sur l'antimatière".

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