« Chez ma mère aucune pièce n’a été épargnée, révèle Virginie, 44 ans. Au début, elle conservait beaucoup de journaux, puis des vêtements, qu’elle empilait jusqu’à former des tas d’un mètre cinquante de haut. » Progressivement, la mère de Virginie, aujourd’hui âgée de 78 ans, a également commencé à se laisser envahir par une multitude de lampes torches et des produits ménagers qui ne servaient jamais. Elle souffre de syllogomanie. 

Pourquoi accumule-t-on de manière excessive ?     

La syllogomanie est un trouble du comportement complexe avec une tendance à accumuler des objets le plus souvent inutiles, obsolètes ou endommagés, avec une grande difficulté à s’en débarrasser. La syllogomanie peut être due à différents facteurs. Parfois, les personnes sont trop attachées à ce qu’elles conservent et il leur est impossible de s’en séparer. « Ces objets font partie d’elles-mêmes, explique Alberto Eiguer, psychiatre et psychanalyste, auteur de « L’Inconscient de la maison » (éd. Dunod). Par exemple, certaines gardent des cahiers de leur enfance comme souvenirs. »   

Les personnes touchées ressentent un sentiment de nostalgie. « Elles restent accrochées au passé qu’elles voient comme meilleur qu’aujourd’hui, souligne le psychiatre. Pour elles, le fait de jeter s’apparente à jeter à la poubelle une partie d’elles-mêmes ou celle de quelqu’un d’autre. » Elles souhaitent garder intactes les impressions anciennes et craignent d’oublier. Tous ces objets cassés, sales, inutiles ou sans valeur marchande servent à alimenter l’impression qu’elles peuvent résister au temps. « Beaucoup ont peur de voir le temps s’écouler, commente Alberto Eiguer. Ces personnes pensent que conserver toutes ces choses leur permettra de paralyser le temps. »  

D’autres sont angoissés et obsédés par l’avenir. « Ils gardent et accumulent en pensant que ça pourra être utile un jour. Alors que ça ne leur servira sûrement jamais. » La mère de Julie* garde l’électroménager qui ne fonctionne plus même si elle en rachète. Ou elle récupère des objets censés être destinés à la benne à ordures. « Elle me dit qu’on ne sait jamais et elle anticipe un besoin potentiel, ça la rassure », explique sa fille.     

L’accumulation peut aussi être aggravée par des chocs émotionnels, comme le divorce vécu par la mère de Virginie. « Sa maison et son intérieur symbolisaient sa vie d’avant avec notre père durant laquelle elle avait un certain statut et des moyens financiers, raconte Virginie. Elle était très attachée au passé et à cette image, et les objets sont le seul lien qu’elle a avec son ancienne vie. Elle remplissait un vide affectif et sentimental. » La mère de Julie*, elle, accumulait depuis toujours mais cette tendance s’est amplifiée au fil des années pour combler un manque de son enfance. « Comme ses parents voulaient un garçon, elle n’avait aucune reconnaissance dans sa famille et elle récupérait tout de sa grande sœur », raconte Julie.   

Les conséquences de cette accumulation   

Ce trouble du comportement n’est pas sans conséquence. D’abord, les personnes atteintes par la syllogomanie  se coupent progressivement du monde et de contacts sociaux. « Plus personne ne vient voir ma mère et elle reçoit les voisins sur le pas de la porte, souligne Julie. On n’a plus envie d’y aller avec mes deux filles, c’est dommage car elle rate des moments familiaux. Pourtant, on lui a souvent tendu la main… »     

Plus tragiquement, en mars dernier, Nathalie apprend le décès de son père à l’âge de 76 ans, parti de la maison familiale quand elle avait 15 ans. En allant voir son appartement, elle découvre avec stupeur qu’il était atteint du syndrome de Diogène – une pathologie dont l’un des symptômes est la syllogomanie et qui s’accompagne d’une négligence de l’hygiène corporelle et de l’habitat. « Il est mort et son corps est resté pendant trois semaines chez lui, confie-t-elle. Humainement, c’est très choquant, on disparaît de la surface du monde. » Chez son père, elle retrouve des seringues d’insulines, de la nourriture en décomposition, des journaux, une dizaine de cafetières cassées, le tout mélangé à une odeur insupportable. « On a dû mettre une tenue de scaphandrier, se souvient-elle. Quand on ouvrait les placards, on pensait que tout allait nous tomber sur la tête. ».   

Un manque d’hygiène et une insalubrité qui peuvent avoir des conséquences sur la santé.  Mais l’une des difficultés est que les personnes touchées par la syllogomanie n’ont pas toujours conscience de leur état. « Parfois, ce sont les personnes extérieures, les amis ou la famille qui leur font remarquer, souligne Alberto Eiguer. Certains s’étonnent et d’autres se fâchent. » Lorsque les proches vont essayer de faire du tri ou de jeter les biens accumulés, elles se replient sur elles-mêmes ou montrent une certaine agressivité.     

L’autre complexité est qu’elles ont tendance à cacher leur mal-être. « Il avait le besoin de remplir sans que cela ne se voit à l’extérieur, explique Nathalie. Le coffre de sa voiture était plein à craquer, sa boîte aux lettres et son balcon aussi. » La mère de Virginie avait également mis en place une stratégie pour dissimuler son trouble. « Elle faisait ses ongles, donnait une image de quelqu’un de propre et faisait comme si elle vivait une vie de grande dame alors que sa maison représentait vraiment ce qui se passait dans sa tête », raconte Virginie.     

Un long chemin vers la guérison   

Pour venir à bout de la syllogomanie, le chemin peut être long, surtout que certains n’acceptent aucune aide. « Au début, elle nous disait de ne plus venir chez elle car c’était dangereux pour les enfants, sans qu’on ne s’inquiète plus que ça », déclare Virginie. Mais suite à l’hospitalisation de sa mère, la jeune femme et sa sœur découvrent le chaos en allant chercher des affaires chez elle. « On ne voulait pas qu’elle retourne chez elle dans une telle insalubrité. »   

Pour les cas les plus extrêmes, l’hospitalisation est parfois nécessaire. « Ma mère est hospitalisée depuis 6 mois, et elle est enfin diagnostiquée, explique ainsi Virginie. Elle va mieux grâce à un traitement pour la dépression. » Le médecin généraliste intervient en premier recours. Puis, si la cause n’est pas neurologique, il faut alors consulter un psychiatre. Un traitement médicamenteux et un accompagnement social sont ensuite nécessaires. Selon Alberto Eiguer, il est également possible de faire appel à un coach ou d’entamer une thérapie comportementale et cognitive afin de s’interroger sur les raisons de cette accumulation. Elle aidera à se libérer de son espace physique et psychique.   

Nathalie et Virginie déplorent un manque de connaissance et de sensibilisation vis-à-vis de ce trouble du comportement. « Cette maladie n’est pas négligeable car les personnes peuvent souffrir, déclare Virginie. Il faudrait apporter plus d’aide aux familles. »