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Prisons russes : un lanceur d'alerte dénonce un système de viols organisés

Une impitoyable répression à visé depuis 2020 des prisonniers accusés d'une mutinerie dans un pénitencier de Sibérie. Viols, torture et humiliations sont des pratiques loin d'être isolées dans l'univers carcéral russe, selon des témoignages d'anciens détenus rassemblés par l'AFP. L'ONG spécialisée Gulagu.net a reçu un millier de vidéos prouvant ces sévices, qui selon elle seraient fréquemment orchestrés par les autorités.

Les responsables de la prison ont été licenciés après que Gulagu.net a commencé à publier des vidéos et des témoignages dans le cadre d'un trésor de plus de 1 000 fichiers montrant prétendument des cas de torture et des prisons à travers la Russie.
Les responsables de la prison ont été licenciés après que Gulagu.net a commencé à publier des vidéos et des témoignages dans le cadre d'un trésor de plus de 1 000 fichiers montrant prétendument des cas de torture et des prisons à travers la Russie. © Dimitar Dilkoff, AFP/ File picture
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Humiliations et viols : une opération punitive a frappé des prisonniers accusés d'une mutinerie dans un pénitencier de Sibérie en 2020, selon des témoignages rassemblés par l'AFP et publiés jeudi 7 octobre. Une affaire loin d'être isolée dans l'univers carcéral russe.

D'après ces éléments, nombre de forçats ont été torturés pendant des mois dans des "cellules de pression" de la région d'Irkoutsk, subissant des coups et violences sexuelles infligés par des détenus aux ordres des gardiens.

Roustam* et Alexeï* étaient parmi les victimes de sévices orchestrés, selon eux et l'ONG spécialisée Gulagu.net, pour leur faire avouer leur implication dans une révolte en avril 2020 dans la colonie N°15 d'Angarsk, non loin du lac Baïkal. 

"Des couloirs couverts de sang"

Aujourd'hui en liberté, ils racontent à l'AFP leur calvaire. "J'ai vu des couloirs couverts de sang et énormément de prisonniers inconscients au sol", affirme Roustam, 40 ans, depuis le Tadjikistan, son pays d'origine. 

Alexeï, 25 ans, reconnaît avoir cassé deux caméras de surveillance lors de la révolte. "Juste pour ça, ils ont brisé mon destin", raconte-t-il. Cette expression, dans le jargon des prisonniers, signifie avoir été violé par des codétenus, faisant entrer la victime dans la caste des parias, celles des "coqs" ("petoukhi") de la hiérarchie carcérale, très codifiée. "J'ai tout perdu", souffle Alexeï. "Je souffre énormément et je demande simplement justice."

Les deux hommes disent avoir été tabassés par des gardiens lors des troubles du pénitencier d'Angarsk, marqués par un immense incendie. Ils ont ensuite été transférés vers la prison N°1 d'Irkoutsk, où ils disent avoir été torturés par des détenus obéissant à l'administration.

"Tout est permis" 

Si Roustam et Alexeï rompent la loi du silence, c'est parce qu'en décembre 2020, un cas a délié les langues. 

L'ONG Gulagu.net signale alors l'affaire de Kejik Ondar, un prisonnier d'Angarsk transféré vers la prison N°1 où il a été sodomisé avec un chauffe-eau à immersion, lui causant de graves blessures. Son avocat, Dmitri Dmitriev, parle d'un dossier "catalyseur" : "Sans ce remous médiatique, ils auraient étouffé l'affaire."

Mi-janvier 2021, une commission d'enquête spéciale est envoyée dans la région. Quatre prisonniers et trois cadres sont inculpés pour leurs rôles dans le viol de Kejik Ondar. Un autre responsable carcéral est poursuivi dans une affaire similaire dans une autre prison.

Le chef de la colonie N°15 d'Angarsk lors de la révolte, Andreï Verechtchak, a lui été inculpé début juillet pour "abus de pouvoir" pour des activités économiques illégales au sein du pénitencier.

Le 24 septembre, le Comité d'enquête, principal organisme d'investigation de Russie, a confirmé étudier des "tortures systématiques" entre avril et décembre 2020 dans les prisons concernées. Seize prisonniers sont accusés de viol.

L'administration carcérale russe n'a pas répondu aux questions de l'AFP.  Fait rarissime, l'ONG Gulagu.net a recueilli les confessions de trois détenus ayant participé aux tortures. Ils expliquent avoir agi pour le compte des autorités qui cherchaient des coupables pour la révolte d'Angarsk. L'un d'eux, Denis Golikov, affirme avoir soustrait les "aveux nécessaires" à quelque 150 prisonniers entre avril et juillet 2020. Dans une déposition le 14 septembre, consultée par l'AFP, il écrit avoir reçu cette consigne de ses supérieurs : "Tout est permis sauf les cadavres." 

Les commanditaires non poursuivis

Pour Vladimir Ossetchkine, directeur de l'ONG Gulagu.net et réfugié politique en France, les tortionnaires parlent car ils ne veulent pas être seuls à payer.

Les autorités "lancent surtout des affaires contre les sadiques qui torturaient mais pas contre les donneurs d'ordre", dit-il, soulignant que les organisations pénitentiaires russes utilisent "systématiquement" des détenus pour en punir d'autres. 

Ces récentes enquêtes sont "historiques", selon Vladimir Ossetchkine, mais ne concernent qu'une "faible partie" du nombre de victimes. Et les enquêteurs "n'iront pas jusqu'à dire que l'opération punitive était planifiée ou à poursuivre ses commanditaires", ajoute l'avocat Dmitri Dmitriev.

Les tourments des mutins d'Angarsk sont loin d'être des cas isolés. Les prisons russes sont réputées pour leur violence, qu'elle soit mafieuse, orchestrée par les autorités, ou un mélange des deux.

Mardi, un nouveau scandale a éclaté. Gulagu.net a révélé avoir reçu un millier de vidéos d'un lanceur d'alerte prouvant l'ampleur des mauvais traitements dans les lieux de détention du pays.

Les images insoutenables d'un prisonnier subissant un viol dans une prison-hôpital de Saratov ont amené les pouvoirs publics à diligenter une enquête. Dès mercredi, au moins quatre responsables des services carcéraux de Saratov ont été limogés.

Une mise à l'écart qui ne convainc guère Vladimir Ossetchkine : "Les autorités sont hypocrites et feront tout pour minimiser leur responsabilité dans cette usine à tortures."

*Les prénoms ont été changés par crainte de représailles

Avec AFP

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