Les femmes jouissent moins que les hommes. Une réalité que les chiffres confirment : selon une étude réalisée aux Etats-Unis* en 2018, 95 % des hommes hétéros confient jouir « habituellement » tandis que les femmes hétéros ne sont que 65 %. Même son de cloche dans l’hexagone avec une enquête Ifop** qui nous apprend qu’en 2019, 26 % des femmes n’avaient pas atteint l’orgasme lors de leur dernier rapport sexuel contre 14 % des hommes. Cet écart, loin d’être insignifiant, porte un nom : on l’appelle le fossé orgasmique. Pour le réduire, il faut comprendre d’où il vient. Mais on peut également l’abolir en choisissant, durant l’acte, d’atteindre l’orgasme en même temps. C’est le fameux orgasme synchro. Une solution qui fait rêver sur le papier puisqu’elle n’oublie personne. Mais est-elle réellement envisageable et comment la mettre en place ? 

Moins de pénétration, plus d’orgasmes en même temps  

« Mon mec a du mal à entendre que l’on peut faire autre chose que des va-et-vient, confie Sophie, 30 ans. Et après, il s’étonne que je ne jouisse pas ! » Il a en effet été prouvé, à de nombreuses reprises, que la pénétration seule ne permettait pas aux femmes de jouir aisément. En cause, le gland du clitoris, grand oublié de cette pratique. Or, comme l’explique le sexologue et urologue Vincent Hupertan, « les glands du pénis et du clitoris, lorsqu’ils sont stimulés, déclenchent tous les deux l’orgasme, qui est un acte réflexe ». Chez l’homme, comme chez la femme, le gland est très innervé et donc capable du même feu d’artifice. On peut utiliser l’image du réflexe rotulien pour bien saisir : la stimulation, c’est le coup de marteau, et si cette stimulation est suffisante et agréable, le genou vole, c’est l’orgasme. 

Le souci est donc pratique : le gland du clitoris, lors de la pénétration, n’est pas franchement caressé, notamment si on opte pour une levrette. En missionnaire, les frottements contre le pubis du partenaire peuvent engendrer du plaisir, mais selon Vincent Hupertan, il manquera toujours un ingrédient : deux doigts ou trois doigts, pointés ou à plat, une langue, des variations de pression… Et quand bien même le point G, lorsqu’il est approché, entraîne un mouvement du périnée et donc de la structure interne du clitoris, il n’est pas le gland du clitoris. En somme, si la pénétration explique le fossé orgasmique, on entend que pour jouir de manière synchro, il vaut mieux l’éviter. « Terminer » en se caressant l’un l’autre, loin d’une sexualité mécanique et prévisible, permettrait aux femmes d’atteindre l’orgasme à leur guise – puisque celui-ci serait plus accessible – et donc possiblement en même temps que leur partenaire.  

Se caler sur le même rythme pour vivre un orgasme synchro 

Pour que l’orgasme s’exprime en même temps chez les deux partenaires, encore faut-il aller au même rythme et franchir les étapes du rapport sexuel plus ou moins en même temps. Un projet possible mais ambitieux : « Si l’homme et la femme qui se rapprochent sont deux casseroles d’eau que l’on met à bouillir, alors généralement l’homme atteindra plus rapidement les cent degrés », image la sexologue Carine Binot. Mais pourquoi les femmes tarderaient-elles à entrer en ébullition ? Dans les années 60, Masters et Johnson ont identifié quatre étapes propres aux rapports sexuels : après une phase d’excitation, nous entrons en phase de plateau (le plaisir est présent et constant), jusqu’à atteindre l’orgasme (le pic du plaisir), puis la résolution (le plaisir retombe). « Ce modèle a d’abord été appliqué aux deux sexes puis revu, puisque les hommes et les femmes ne sont pas soumis à la même courbe d’évolution du plaisir sexuel », explique le sexologue Vincent Hupertan. En d’autres mots, les hommes sont excités plus vite, et donc s’installent plus rapidement en phase de plateau.  

À ça, s’ajoute le désir sexuel, qui a été identifié peu de temps après les travaux de Master et Johnson comme une étape préalable manquante à la réponse sexuelle chez les femmes par les sexothérapeutes Helen Singer Kaplan et Rosemary Basson. Selon elles, la sexualité féminine serait davantage sensible au contexte : le désir sexuel serait la marche à gravir pour atteindre la phase d’excitation sexuelle. En somme, il est difficile pour l’homme et la femme de jouir en même temps puisque les femmes atteignent l’orgasme plus tardivement et accusent, en plus de ça, une étape supplémentaire en début de course. Pour combler le fossé orgasmique et atteindre l’orgasme synchro, il faudrait donc que les hommes freinent pour attendre leur partenaire ou que les femmes connaissent parfaitement leur corps pour aller à bon rythme. 

Faire des pauses, connaître son corps et communiquer 

Pour arriver à l’orgasme synchro, l’essentiel sera de faire des pauses pour s’accorder. Les hommes pourront notamment stopper la pénétration qui, en plus de ne pas soutenir les femmes dans leur plaisir, a tendance à accélérer le leur. Mais ralentir exige de bien connaître son corps et d’identifier le fameux point de non-retour, comme l’explique la sexologue Carine Binot : « Quand on atteint ce point, l’éjaculation est un réflexe, on ne peut pas la couper. » Ecouter ses sensations corporelles et apprendre à les repérer invite à freiner et, en bonus, cela permet de profiter plus longuement de l’acte sexuel. On change alors de position et on stoppe les caresses momentanément. « Quand mon mec sent qu’il arrive, il s’occupe davantage de moi pour que je le rejoigne, exactement comme s’il m’attendait au kilomètre neuf pour que l’on franchisse la ligne d’arrivée ensemble », témoigne ainsi Maryline, 31 ans.  

La communication verbale joue quant à elle un rôle tout aussi utile : « Parfois, il me dit clairement qu’il va venir, ou moi je lui dis que ça arrive », précise Marilyne. Le célèbre « je vais venir », peu romantique au prime abord, a le mérite de prévenir et d’encourager l’orgasme synchro. Si l’on veut exploser en même temps, celui qui « va venir » baisse son chauffage ou bien celui qui n’est pas encore chaussé accélère la cadence et entame la pratique adéquate – caresses solitaires, frottements actifs, positions différentes… Echanger est donc à la base de l’orgasme synchro. 

Les limites de l’orgasme synchro 

Les deux sexologues interrogés sont d’accord sur un point : l’orgasme synchro est idéalisé, et même s’il peut être très plaisant, il ne faut pas en faire un objectif. Certaines fois, les orgasmes surviennent à quelques secondes d’intervalle – le temps de se caler, et la synchronicité n’en est pas moins présente. D’autres, on espère la synchronisation et elle ne fonctionne pas. Comment l’expliquer ? Carine Binot rappelle que « courir après l’orgasme est le meilleur moyen de ne pas jouir, tandis que courir après l’orgasme synchro est un moyen supplémentaire de ne pas jouir ». Parce qu’il demande vigilance, écoute attentive de l’autre et de soi et adaptation permanente, et nous détourne ainsi du plaisir dans l’ici et maintenant.  

Pour autant, se caler à l’autre pour jouir ou exiger de lui qu’il freine pour nous attendre est une solution quand on craint d’être laissée sur le carreau. Emilie, 40 ans, tient à l’orgasme synchro, non pas parce que son mec manque de s’occuper d’elle quand il jouit en premier, mais parce qu’elle est gênée de recevoir des caresses ensuite : « Il vient de vivre un truc immense, j’ai l’impression de le déranger, alors je préfère jouir avant lui ou en même temps lui, parce que c’est joli », dit-elle. Mais si l’orgasme synchro ne vient pas, pourquoi ne pas travailler sur sa part d’égoïsme, franchement noble quand il s’agit de jouir, et accepter les caresses à venir ? Et dans le cas où le partenaire n’a pas l’air enclin à prendre soin de nous après son orgasme à lui, on le lui fait entendre : le fossé orgasmique est aussi lié à ces partenaires qui, une fois qu’ils ont joui, sont davantage déterminés à dormir que d’offrir la réciproque. « La véritable synchronicité est une synchronicité de bien-être, explique Vincent Hupertan, pas une synchronicité dans le temps. » Alors si cette dernière ne prend pas, n’oublions pas que c’est la première qui vaut. 

 

* D. A. Frederick, H. K. S. John, J. R. Garcia et E. A. Lloyd, « Differences in orgasm frequency among gay, lesbian, bisexual, and heterosexual men and women in a US national sample », Archives of sexual behavior, 47 (1), 2018, 273-288. 

** « #tasjoui ? » : Enquête sur le gap orgasm entre hommes et femmes, Étude Ifop pour Online Seduction réalisée par questionnaire autoadministré en ligne du 18 au 21 janvier 2019 auprès d’un échantillon de 1 210 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.