24 février 2011. À quelques jours seulement du lancement de la Fashion Week de Paris, le créateur de mode John Galliano, alors directeur artistique des collections femme de Dior, est interpellé dans le 3ème arrondissement de la capitale. La raison : une plainte d’un couple l’accuse d’avoir proféré, à leur encontre, des injures antisémites et racistes. Le temps de l’enquête, la maison française le suspend de ses fonctions. De son côté, le couturier porte plainte pour diffamation. Le surlendemain, une femme dépose également plainte contre lui, pour des faits similaires remontant à l’automne précédent. Le 28 février, le quotidien britannique « The Sun » publie une vidéo à charge dans laquelle on aperçoit distinctement John Galliano proférer des injures antisémites. « J’aime Hitler. Les gens comme vous seraient morts aujourd’hui. Vos mères, vos putains d’ancêtres auraient tous été gazés et seraient morts », peut-on l’entendre dire. 

La réponse de Dior ne se fait pas attendre : la maison relève le directeur artistique de ses fonctions. Sidney Toledano, alors PDG de Christian Dior Couture, déclare dans un communiqué que « la maison Dior affirme avec la plus grande fermeté sa politique de tolérance zéro à l’égard de tout propos ou attitude antisémite ou raciste. » Le 8 septembre 2011, John Galliano fut reconnu coupable d’injures publiques racistes et antisémites et condamné à une amende avec sursis de 6 000 euros. Son avocat ayant apporté la preuve de l’intoxication aux barbituriques (un mélange de d’antalgiques, de Valium, de somnifères et d’alcool), il n’eut pas de peine de prison. 

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« J’ai pris beaucoup de risques avec John Galliano, car j’étais conscient de son génie »

Les années se sont écoulées depuis, mais l’affaire Galliano n’a pas complètement disparu des esprits. Pour la première fois, Sidney Toledano, PDG de LVMH Fashion Group, est revenu sur l’affaire dans une interview accordée à « i24NEWS ». « John était un génie créatif. Nous étions très proches. John est de Gibraltar et j’ai des origines espagnoles par mon père. On parlait de temps en temps espagnol avec John et ses parents avaient fait leur voyage de noces à Casablanca. On s’entendait très bien », explique-t-il. 

Interrogé sur l’excentricité et les prises de risques de John Galliano lorsqu’il était directeur artistique de Dior il répond : « Tout était parfaitement budgété. Parfois, il y avait des prises de risques. Comme dans un film, le metteur en scène vient voir le producteur et lui demande un hélicoptère pour une scène. C’était moi, qui prenais la décision finale. Parfois je disais “oui”, parfois je disais “non”. J’ai pris beaucoup de risques avec lui, car j’étais conscient de son génie ». Sur le licenciement du créateur, l’homme d’affaires avoue que la décision n’a pas été facile à prendre. « Il a eu ses problèmes personnels de santé et je l’avais mis en garde. Mais vous savez, quand vous n’êtes pas un parent direct et que les personnes sont dans le déni… c’est ce qui est arrivé. Et il a fallu prendre cette décision extrêmement difficile sur le plan personnel et économique car il était le réacteur principal de l’avion. On ne s’est pas parlé pendant 7 ans ! » 

Le parcours de rédemption de John Galliano

Après sa condamnation, John Galliano s’est excusé auprès des victimes devant la Cour et a pris ses distances avec l’industrie de la mode et les médias pendant presque trois ans. En 2014, dans une rare interview accordée à l’édition américaine de « Vanity Fair », il affirmait avoir suivi une cure de désintoxication en Arizona, aux États-Unis, et être sobre depuis deux ans. Il expliquait n’avoir aucun souvenir de ses propos antisémites tenus en 2011. « Quand j'ai vu la vidéo, j'ai vomi, raconte-t-il. C'est la pire chose que j'ai dite dans ma vie, mais je ne le pensais pas... J'ai essayé de comprendre. Je pense que j'étais tellement en colère et tellement mécontent de moi que j'ai juste dit la chose la plus méchante possible. »  

Pendant cet entretien, il racontait également la manière dont il avait progressivement sombré dans l’alcool, malgré les mises en garde de son entourage. « Je ne buvais pas pour être créatif, je n'en avais pas besoin. L'alcool a d'abord été une béquille, en dehors de Dior. Plus tard, je l'ai utilisé pour m'effondrer après les collections. Il me fallait un jour ou deux pour me remettre, comme tout le monde. Mais avec plus de collections, c'était plus fréquent, et j'en suis devenu esclave. Puis j'ai pris des comprimés, car je n'arrivais pas à dormir. Et puis d'autres comprimés, car je ne pouvais pas m'arrêter de trembler. Et puis il y avait aussi ces bouteilles d'alcools forts. À la fin, c'était tout ce sur quoi je pouvais mettre la main. J'avais toutes ces voix dans la tête, posant tellement de questions, mais je n'aurais jamais admis une seconde que j'étais alcoolique. Je pensais pouvoir le contrôler. »  

Après être sorti de cure de désintoxication, le créateur britannique a rencontré des responsables juifs, en France et à l’étranger, pour s'excuser. « Beaucoup lui ont pardonné, souligne Sidney Toledano. Mais j’ai toujours dit que le pardon doit être demandé à celui qui a été heurté. Et ce jour a eu lieu 7 ans après. John m’a appelé, a demandé à me voir, et on s’est vus. Il s’est excusé. Mais on n’a fait aucun communiqué. Ça a été un soulagement pour moi. »