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Archéologie

Quand la génétique révèle qui étaient les occupants des tumulus géants du 5e millénaire avant notre ère dans le nord de la France

Des analyses génétiques réévaluent l’occupation d’un cimetière monumental de l’élite du 5e millénaire avant notre ère mis au jour en Normandie. Une nécropole où une femme a aussi été retrouvée inhumée avec des symboles de pouvoir masculins.

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Reproduction artistique de la nécropole monumentale de Fleury-sur-Orne (Calvados), au Ve millénaire avant notre ère.

Reconstitution artistique de la nécropole monumentale du Ve millénaire avant J.-C. de Fleury-sur-Orne (Calvados).

Crédits: PNAS / Laurent Juhel

Le cimetière de Fleury-sur-Orne, en périphérie de Caen (Calvados), fait partie des premières manifestations funéraires monumentales qui ont prospéré en Europe, au Néolithique moyen (4700-3800 avant notre ère). Un moment de transition où les sociétés se complexifient. Dans le but de reconstituer l’histoire de cette nécropole, de déterminer s’il existait des liens familiaux entre les individus inhumés dans une même sépulture, ou éventuellement, entre chacun des différents monuments, des analyses paléogénétiques ont été menées, dont les résultats viennent d’être publiés dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS)

Des tombeaux démesurés dédiés uniquement à un ou deux défunts

Pour comprendre l'histoire de ce site -il faut rappeler qu'il s'agit d'imposantes sépultures dont les tertres, des surélévations de terre, pouvaient atteindre de 30 mètres à 372 mètres de long ! C'est le cas à Fleury-sur-Orne, en Basse-Normandie, où entre 4700 et 4300 avant notre ère, plusieurs dizaines de ces tumulus cyclopéens délimités par des fossés modelaient le paysage. Aujourd'hui disparues, seuls de rares vestiges subsistent de ces anciennes éminences. 

Probablement érigés pour commémorer des individus de haut rang, ces tombeaux démesurés dédiés uniquement à un ou deux défunts placés en leur centre, ont été décrits par les spécialistes, comme appartenant à un phénomène culturel dit "de Passy", en relation avec des sites similaires rencontrés dans le Bassin parisien, en particulier dans la vallée de l'Yonne et de la Marne.

Etudiés lors de fouilles archéologiques menées entre 2014 et 2016 par l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), 32 de ces tombeaux de tailles variables ont ainsi été découverts sur le site de Fleury-sur-Orne, en même temps que les restes de 19 individus. Des enterrements contemporains des grands alignements mégalithiques de la façade Atlantique, à l'instar de Carnac (Morbihan), avec des dépôts de faune domestique composée pour une large part de moutons et de bovins.

Les résultats des analyses paléogénétiques qui viennent d’être menées à Fleury-sur-Orne sont riches d’informations."Sur les 19 individus identifiés, des données génomiques pour 14 d’entre eux ont pu être obtenus", explique Maïté Rivollat, alors rattachée à l’UMR PACEA* (Université de Bordeaux), ainsi qu’à l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste, de Leipzig (Allemagne), jointe par Sciences et Avenir. "Quand des individus ont été retrouvés dans une même tombe et que des analyses ont pu être effectuées, des liens patrilinéaires [fondés sur l’ascendance masculine, NDLR] ont été clairement mis en évidence", ajoute Aline Thomas, de l’UMR Eco-anthropologie et ethnobiologie, du Museum National d’Histoire Naturelle (MNHN), à Paris, co-auteure de l’article. Mais aucune filiation n’a été établie d’une tombe à l’autre. "Aussi, nous émettons l'hypothèse que différentes familles non apparentées ont utilisé le site de Fleury-sur-Orne au 4e millénaire avant notre ère", estime Aline Thomas. En résumé, chaque tumulus devait représenter un clan, ou une communauté, au sens social et biologique du terme.

Vestiges d'une sépulture monumentale en 3D et sa délimitation par une fosse, après relevé par drone. Crédits : Emmanuel Ghesquière/Inrap.

Parmi les 14 ADN analysés, celui d'une femme

Mais les révélations issues de ces fructueuses analyses paléogénétiques ne se sont pas arrêtées là. Parmi les 14 individus, l'ADN de l'un d'entre eux s'est avéré être celui d'une femme... Une femme inhumée de la même façon que les individus masculins, et retrouvée elle aussi associée à des pointes de flèches. Des armatures de flèches emmanchées parfois découvertes regroupées dans un carquois, comme l'avait signalé Emmanuel Ghesquière, archéologue de l'Inrap, lors de fouilles menées avec Philippe Chambon. Ces armes, tous les défunts en avaient fait sans doute usage de leur vivant, à l'instar de ceux du Bassin parisien, où des traces propres aux archers avaient été repérées sur les squelettes. L'impact des différentes activités humaines est en effet identifiable au niveau ostéologique, grâce à des marqueurs osseux ou articulaires spécifiques dus à des gestes répétés. 

"Ce n'est pas la première fois que des femmes sont retrouvées dans ces grands enterrements du Néolithique moyen. Dans la région parisienne, de mêmes tombes démesurées ont été mises au jour avec des hommes, des femmes et parfois des enfants", temporise Aline Thomas. Mais jamais aucune femme n'avait été identifiée dans un de ces cimetières avec ce qui est habituellement considéré comme un attribut de pouvoir de l'élite masculine. "Ce qui a été retrouvé à Fleury-sur-Orne remet en cause un parti pris d’ordre sexuel strictement biologique dans les rites funéraires de ce cimetière monumental "masculin", précise Maïté Rivollat. "Cette femme enterrée avec un objet symboliquement masculin, suggère que l'incarnation du sexe masculin dans la mort était nécessaire pour accéder à l'inhumation dans ces structures gigantesques", ajoute Aline Thomas.

"Il ne faut pas mélanger sexe et genre", renchérit l'anthropologue, prudente, à un moment où les rapports de genre et le rôle des femmes sont très discutés chez les préhistoriens. La seule chose que nous pouvons dire, c'est que de son vivant, bien que de sexe féminin, cette femme a eu à endosser un rôle masculin pour des raisons que nous ne connaitrons sans doute jamais, poursuit la spécialiste. Rien dans son génome ne nous permet de dire non plus qu'elle est là parce qu'elle aurait été la fille ou la sœur d'un des défunts".

Jusqu'à ce jour, les interprétations du statut social des occupants de ces tombeaux colossaux reposaient exclusivement sur des analyses bioarchéologiques, (étude des ossements), effectuées sur les individus du Bassin parisien. Pour Aline Thomas, "ce qui est fondamental avec l'apport des données génétiques de Fleury-sur-Orne, c'est d'avoir pu définir les liens de parentalité et d'ancestralité entre des défunts d'il y a plus de 6000 ans".

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