Abonné

Douleur, fatigue, stress, et si la transe nous aidait à vivre mieux ?

Publié le 20 Mai 2022 à 19H00 Modifié le 20 mai 2022
transe
De la même manière que l’hypnose ou la méditation, la transe cognitive auto-induite provoque un état de conscience modifié. Héritée des traditions chamaniques de Mongolie, cette pratique à la frontière avec l’ésotérisme pourrait avoir des applications médicales dans des domaines variés et intéresse de plus en plus les neuroscientifiques.

Transe. Une sensation de sortir de son corps. Des tremblements incontrôlés. Une force décuplée… les témoignages d’individus ayant vécu une transe chamanique sont aussi étonnants qu’incompréhensibles. Dans le film de Fabienne Berthaud « Un monde plus grand », on y voit une femme en transe se frapper en hurlant des cris de loup lors d’une cérémonie chamanique.

Le long-métrage s’inspire en fait de l’expérience qu’a vécu l’ethno-musicienne

Corine Sombrun lors d’un voyage en Mongolie en 2001, alors qu’elle réalisait un reportage sur le chamanisme en Mongolie. Aux premiers coups de tambour du chamane, elle est prise d’une transe qui durera deux heures. Bouleversée par cet événement inattendu, elle rentre en Europe avec la détermination de comprendre ce qu’il s’est passé dans son cerveau. Elle s’entraine donc à induire la transe par elle-même et propose le terme de « transe cognitive auto-induite » pour décrire cet état particulier, détaché de tous rituels traditionnels.

« Lors d’une transe cognitive auto-induite, la perception de soi et de l’environnement est modifiée » explique la chercheuse Olivia Gosseries, co-directrice du Coma Science Group de l’unité GIGA-Consciousness en Belgique.

            Lire aussi : Voici comment l’hypnose transforme l’activité de notre cerveau et nos perceptions. Une méthode ésotérique qui ne marche – si jamais elle marche vraiment – que sur les esprits faibles ? En réalité, l’hypnose a des effets objectifs sur notre cerveau. On en est désormais certain.

LA TRANSE COGNITIVE AUTO-INDUITE : UNE CAPACITÉ UNIVERSELLE DU CERVEAU ?

Nous pourrions être tentés de croire que l’état de transe est réservé à quelques chamanes mongols. En réalité, chacun de nous pourrait y accéder, ou presque. En testant une bande sonore avec des étudiants des Beaux-Arts à Nantes, Corine Sombrun a permis à 80% d’entre eux d’entrer en état de transe au premier essai, et 90% aux suivants. Cette première étape pour tester la transe cognitive auto-induite sur un large public laisse penser qu’elle pourrait être une capacité universelle du cerveau.

Par la suite, un programme de recherche a été mené sur 1000 volontaires. Là encore, 90% des participants ont été réceptifs. Autrement dit, 90% d’entre eux ont vu leur état de conscience modifié. Mais comment savaient-ils qu’ils étaient en état de transe ? « On le sait », répond le Dr Gosseries qui a expérimenté cet état. « On ressent son corps de manière différente, on a des perceptions inhabituelles, parfois des visions apparaissent, des émotions émergent ».

le film sur la transe, un monde plus grand

crédit photo : DR L’affiche du film «Un monde plus grand» de Fabienne Berthaud.

Pour accéder à cet état de transe, il existe différentes manières. Les premières fois, il faut généralement s’appuyer sur un élément déclencheur qui apparait à l’écoute de la boucle de sons créée par Corine Sombrun et le Dr. Elie Lequemener. « Ensuite on peut apprendre à entrer en transe tout seul : en vocalisant ou en faisant certains mouvements par exemple », cite le Dr. Gosseries. À chacun de trouver ce qui fonctionne.

La science et la transe, du désamour à la recherche scientifique
Corine Sombrun fonde en 2019 l’Institut de recherche TranceScience avec des neuroscientifiques du CNRS et de l’Université Catholique de Louvain en Belgique. L’Institut TranceScience collabore entre autres avec des chercheurs de deux laboratoires belges rassemblés sous une unité, le GIGA-Consciousness, ainsi qu’avec le CHU de Liège. Plus particulièrement, c’est sous l’impulsion de deux chercheuses Belges que des études sur le sujet voient le jour : le Dr Olivia Gosseries, chercheuse qualifiée FNRS et co-directrice du Coma Science Group du GIGA-Consciousness et le Dr Audrey Vanhaudenhuyse, scientifique au CHU de Liège et directrice du Sensation & Perception Research Group du GIGA-Consciousness.

QUE SE PASSE-T-IL DANS UN CERVEAU EN TRANSE COGNITIVE AUTO-INDUITE ?

Les études neuroscientifiques sur des volontaires en transe ont débuté il y a trois ans. Elles ont commencé par l’observation du cerveau de Corine Sombrun en état de transe.

Les chercheurs ont utilisé l’électroencéphalogramme couplée à la stimulation magnétique transcrânienne pour mesurer l’activité électrique de son cerveau lors d’une transe. « Nous voulions provoquer une stimulation non invasive dans son cerveau pour observer comment le signal s’y propageait lors d’une transe. »

Deux états de conscience

Si la stimulation magnétique transcrânienne est utilisée sur une personne inconsciente, alors le signal électrique ne se propage pas. Si la technique est employée sur une personne consciente, le signal se propage et est complexe. Cet outil permet de donner une information sur l’état de conscience allant de zéro à 1. Zéro étant l’état totalement inconscient.

Il est important de préciser qu’il existe deux niveaux de conscience. La conscience interne (de soi) et externe (de son environnement). Une personne éveillée bascule environ toutes les 20 secondes entre ces deux états. Vous êtes par exemple en train d’écouter une personne (conscience externe), quand tout à coup vous pensez à votre liste de course (conscience interne). La conscience interne se situe plutôt à l’avant et au milieu du cerveau, et l’externe, à l’arrière et sur les côtés.

« Chez Corine, le signal électrique s’est répandu différemment », témoigne le Dr. Gosseries. « À l’avant de son cerveau, il était amplifié, ce qui implique une conscience interne augmentée. Mais à l’arrière, le signal était diminué. » Être en transe cognitive auto-induite modifierait donc le fonctionnement du cerveau…et l’état de conscience.

Corine Sombrun en transe cognitive auto-induite.

crédit photo : DR Corine Sombrun en transe cognitive auto-induite.

S’entraîner à la transe cognitive auto-induite

L’équipe de neuroscientifiques a voulu tester ces résultats sur une cohorte de volontaires. Le cerveau de 27 personnes en état de transe cognitive auto-induite a été étudié. En plus d’un suivi d’encéphalographie à l’aide d’électrodes posées sur leur crâne, d’autres paramètres ont été enregistrés : rythme cardiaque, respiration, mouvements oculaires et température. Les analyses de cette étude sont encore en cours et s’annoncent éclairantes.

La transe cognitive auto-induite serait donc un potentiel auquel nous avons tous accès, mais que nous ne sollicitons pas ou peu, du moins pas volontairement. Si le cerveau possède cette capacité à changer son état de conscience, à quoi cette faculté peut-elle bien servir ?
Existe-t-il un avantage évolutif à pratiquer la transe ?

LES APPLICATIONS MÉDICALES DE LA TRANSE COGNITIVE AUTO-INDUITE

De la gestion de la douleur…

Les recherches en sont au tout début, mais elles s’avèrent très prometteuses. Un détail intéresse particulièrement les neuroscientifiques : lors de transes, certaines personnes rapportent une diminution de leur douleur. L’équipe a débuté une étude à ce sujet sur des volontaires. Ces derniers seront soumis à des stimulations douloureuses ciblées au poignet lors d’un état de transe. La mesure objective de la douleur sera comparée à leur ressenti subjectif. Si la transe s’avère efficace contre la douleur, elle pourrait devenir un puissant outil médical pour soulager certains patients.

…à la thérapie post-cancer

L’équipe de neuro-chercheurs a aussi débuté des travaux de recherche sur l’efficacité de la transe comme thérapie post-cancer, grâce au soutien de la Fondation Belge contre le cancer et du Télévie. Cette étude permettra à 120 volontaires guéris du cancer de choisir entre la transe cognitive auto-induite, la méditation auto-compassion et l’hypnose. Ces derniers suivent des sessions de la pratique de leur choix pendant une année. Il y a aussi un groupe contrôle de 40 participants qui ne fait aucun des exercices. « Nous espérons que la transe cognitive auto-induite puisse aider ces patients en rémission à gérer leur fatigue, leur douleur et leur qualité de vie en générale, au même titre que l’hypnose et la méditation », précise le Dr Vanhaudenhuyse. Il faudra attendre trois années supplémentaires avant les premiers résultats de l’étude.

Un mystérieux effet de la transe

Autre effet épatant de la transe cognitive auto-induite (et rapporté par plusieurs « transeurs ») : une sensation de force décuplée… Comme si leur force physique dépassait les limites habituelles. Une étude du GIGA-Consciousness est également en cours à ce sujet. Des capteurs aux pieds et mains des volontaires experts en transe cognitive auto-induite permettent de fournir des données objectives sur la force de ces individus en état de transe. « Pour l’instant nous ignorons si l’état de transe permet de multiplier la puissance physique, mais les données préliminaires semblent aller dans ce sens… » avance le Dr Gosseries. Si cela était confirmé, la transe cognitive auto-induite pourrait devenir une précieuse préparation pour les sportifs !

Encore plus étonnant, et en cours d’étude à Marseille (Service d’épileptologie de l’Hôpital de la Timone) et à Genève (Clinique Belmont) : la transe pourrait avoir des applications en psychiatrie, chez des patients souffrant de crises non épileptiques psychogènes.

ÉTUDIER LA TRANSE COGNITIVE AUTO-INDUITE : QUAND LA SCIENCE SE MÊLE DE L’ÉSOTÉRISME

Au vu de ces applications, réelles ou potentielles, la question n’est plus « pourquoi la transe intéresse-t-elle tant les scientifiques » mais plutôt « pourquoi elle ne les a pas intéressés plus tôt ». En Occident, elle a longtemps été associée à un trouble psycho-pathologique.

Spontanément, les images associées à la transe sont celles de personnes possédées, effrayantes. « D’un point de vue scientifique, son étude est la suite logique après avoir travaillé sur le sommeil, puis le coma, l’hypnose, et enfin la méditation. Il y a 50 ans nous disions que la conscience était un sujet d’étude réservé aux philosophes. Aujourd’hui nous l’étudions scientifiquement », soulignent les Drs Gosseries et Vanhaudenhuyse. « Nous n’en sommes qu’aux débuts ! »

Prenons l’exemple de la méditation. De nos jours, cette pratique est totalement démocratisée. Elle se décline sous forme de podcasts, de livres, de cours. Il y a encore peu de temps, elle était considérée comme mystique voire obscure. L’hypnose, quant à elle, s’est invitée dans les cabinets de certains cliniciens. Serait-il bizarre de voir émerger la transe cognitive auto-induite au rayon des thérapies alternatives ?

Si elle est accessible à presque tous comme les premières études le montrent, pourquoi ne pas l’essayer ?

Dans une interview donnée à France Inter en 2021, l’ethno-musicienne Corine Sombrun confiait : « Finalement, les images qui apparaissent lors d’une transe ne sont pas plus étranges que les images qui apparaissent en rêve. Lorsque nous racontons à quelqu’un que nous avons rêvé d’être un oiseau, personne ne répond que c’est impossible. La transe c’est pareil : le ressenti et les images qui défilent sont très inhabituelles de notre état de conscience ordinaire, et pourtant, l’expérience est bien réelle. »

Transe, hypnose, méditation : quelles différences ?

Lorsque nous sommes éveillés, le cerveau capte des informations de manière inconsciente. Autrement dit, ces informations n’arrivent pas à la conscience. La transe cognitive auto-induite serait peut-être un moyen d’accéder à ces informations en modifiant l’état de conscience.

La transe cognitive auto-induite, la méditation et l’hypnose induisent toutes un état de conscience modifié, mais les chemins pour y arriver sont différents. Par exemple, l’induction de la transe se fait souvent au moyen de mouvements corporels et/ou de vocalisations. Alors que la méditation peut se faire en se focalisant sur la respiration ou un objet. Les similitudes et différences concernant la phénoménologie sous-jacente de ces états sont par contre encore méconnues. Une nuance subtile qui fait l’objet d’études afin de mieux comprendre les effets de la transe sur le cerveau.  

 

            Découvrez aussi : L’âme d’un mort peut-elle vraiment posséder l’esprit d’un vivant ? Si certaines personnes sont convaincues qu’une entité, humaine ou non, vivante ou morte, se substitue à leur esprit, leurs pratiques laissent généralement perplexes. Mais la science révèle des modifications cérébrales lors de ces rituels.

 

Partager