Les élèves qui passent le bac de philo ont deux sujets de dissertation et une explication de texte. En 2022, pour le bac, les élèves avaient le choix entre une dissertation sur l’art, une autre sur l’État. Enfin, les candidats pouvaient aussi commenter un texte d’Antoine-Augustin Cournot (1801-1877) mathématicien et philosophe français. Il fallait réviser la science cette année, une des 17 notions au programme. La note de l’écrit de philosophie se voit attribuer un coefficient 8 dans la note finale. Ces sujets ont été corrigés par M. Olivier Dhilly, professeur de philosophie.

Les résultats au bac 2023 seront publiés début juillet.

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Les sujets du bac de philo 2022 voie générale

Sujets de dissertation 1:

Les pratiques artistiques transforment-elles le monde?

Sujet de dissertation 2:

Revient-il à l’État de décider de ce qui est juste?

Explication de texte:

COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique (1851).

Expliquer le texte suivant:

Pour qu’une observation puisse être qualifiée de scientifique, il faut qu’elle soit susceptible d’être faite et répétée dans des circonstances qui comportent une définition exacte, de manière qu’à chaque répétition des mêmes circonstances on puisse toujours constater l’identité des résultats, au moins entre les limites de l’erreur qui affecte inévitablement nos déterminations empiriques1. Il faut en outre que, dans les circonstances définies, et entre les limites d’erreurs qui viennent d’être indiquées, les résultats soient indépendants de la constitution de l’observateur ; ou que, s’il y a des exceptions, elles tiennent à une anomalie de constitution, qui rend manifestement tel individu impropre à tel genre d’observation, sans ébranler notre confiance dans la constance et dans la vérité intrinsèque du fait observé. Mais rien de semblable ne se rencontre dans les conditions de l’observation intérieure sur laquelle on voudrait fonder une psychologie scientifique ; d’une part, il s’agit de phénomènes fugaces, insaisissables dans leurs perpétuelles métamorphoses et dans leurs modifications continues ; d’autre part, ces phénomènes sont essentiellement variables avec les individus en qui se confondent le rôle d’observateur et celui de sujet d’observation ; ils changent, souvent du tout au tout, par suite des variétés de constitution qui ont le plus de mobilité et d’inconsistance, le moins de valeur caractéristique ou d’importance dans le plan général des oeuvres de la nature. Que m’importent les découvertes qu’un philosophe a faites ou cru faire dans les profondeurs de sa conscience, si je ne lis pas la même chose dans la mienne ou si j’y lis tout autre chose? Cela peut-il se comparer aux découvertes d’un astronome, d’un physicien, d’un naturaliste2 qui me convie à voir ce qu’il a vu, à palper ce qu’il a palpé, et qui, si je n’ai pas l’oeil assez bon ou le tact assez délicat, s’adressera à tant d’autres personnes mieux douées que je ne le suis, et qui verront ou palperont si exactement la même chose, qu’il faudra bien me rendre à la vérité d’une observation dont témoignent tous ceux en qui se trouvent les qualités du témoin?

1 «empiriques»: issues de l’expérience.

2 «naturaliste»: celui qui étudie la nature, en particulier les êtres vivants.

COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique (1851).

Corrigé du sujet de dissertation numéro 1 par M. Olivier Dhilly, professeur de philosophie.

Les pratiques artistiques transforment-elles le monde?

I. Les pratiques artistiques créent un autre monde que le nôtre

On pouvait dans un premier temps montrer en quoi les pratiques artistiques nous emmènent dans un autre monde, un monde avant tout imaginaire. Il ne s’agit pas simplement d’être plongé dans le quotidien mais bien plutôt d’en sortir. Tel est le propre de l’imaginaire artistique. Certes nous pouvons parler du travail de l’artiste, mais il faudrait le distinguer du travail, par exemple manuel qui modifie la matière, la transforme avec un but utilitaire et pratique. L’art conduirait davantage à nous détourner du monde. 2. Les pratiques artistiques sont transformées par le monde

Si les pratiques artistiques ne cessent d’évoluer, et c’est ici qu’il est intéressant de bien s’attarder sur la notion de «pratiques» car il ne s’agit pas uniquement de l’art en général, c’est bien parce que ces pratiques évoluent au cours de l’histoire. Les développements de la technique ont pu faire naître des arts nouveaux comme la photographie, le cinéma etc…le risque est qu’elles soient toujours, en dernière instance le produit de la réalité sociale. Arendt souligne ainsi comment dans nos sociétés contemporaines, la logique consumériste du travail a rattrapé toutes les activités. Nous avons pu voir émerger ces dernières décennies un marché de l’art par exemple. Plutôt que de transformer le monde, ce serait plutôt alors les pratiques artistiques qui seraient transformées par le monde. 3. Les pratiques artistiques comme dévoilement du monde

L’art nous fait saisir le monde autrement. S’il apparaît comme créant un monde à part, s’il apparait comme ce qui nous fait sortir de notre quotidien, il peut être un moyen de nous faire saisir ce que dans notre rapport utilitaire au monde nous ne saisissons pas. On peut penser ici aux analyses de Heidegger sur les souliers de Van Gogh.

Corrigé du sujet de dissertation numéro 2 par M. Olivier Dhilly, professeur de philosophie.

Revient-il à l’État de décider de ce qui est juste?

1. Il n’y a pas de justice en dehors de l’Etat. Le plus simple est alors de commencer par l’idée première et qui a pu sembler la plus évidente: c’est l’Etat qui déciderait et définirait la justice et ceci parce qu’en dehors de l’Etat, il n’y a pas de justice. Pour cela il est possible de partir d’un constat: en dehors de l’Etat qui par le truchement de la loi énonce ce qui est juste ou injuste, les individus se retrouvent condamnés à ne vivre que dans des rapports de force, dans un état de violence et de guerre perpétuelle. Ils sont soumis ainsi au règne de la force et livrés à l’arbitraire. Références possibles: Hobbes dans le Léviathan, Locke dans le Traité du gouvernement civil. 2. L’Etat dit ce qui doit être suivi mais cela n’est pas nécessairement juste

Dire que c’est à l’Etat de décider de ce qui est juste ou injuste parce que l’Etat est ce qui serait seul dans la capacité de nous faire sortir de l’arbitraire de la force, c’est ignorer que l’égalité n’est pas nécessairement synonyme de justice. En défendant l’affirmation selon laquelle c’est à l’Etat de décider de ce qui est juste, on part alors du principe, au mieux, que l’Etat comme ensemble des institutions, reflète la volonté générale, qu’il n’est pas ce qui, à proprement parler décide, puisqu’il n’est pas un individu, mais qu’il est l’incarnation d’une décision collective des sujets et des citoyens. Or, il se pourrait bien que derrière cette égalité affirmée se cachent de nombreuses injustices. 3. L’Etat ne décide pas, l’Etat est un ensemble d’institutions, il ne prend pas de décision, seuls des individus peuvent prendre des décisions. C’est à ce moment qu’il peut être bon de montrer que l’on prend bien en compte tous les termes du sujet en revenant sur la notion de décision puisqu’on nous demande s’il relève de l’Etat de «décider». La décision n’est jamais celle d’une institution ou d’un ensemble d’institutions, mais celle d’individus. En ce sens, parler d’une décision de l’Etat peut sembler bien étrange et conduire à une personnification de l’Etat. Certes, dans l’usage courant, nous avons tendance à le faire lorsque, par exemple, on va dénoncer l’Etat comme ce qui nous taxe ou nous redistribue de l’argent etc… Mais ce n’est pas l’Etat qui décide, ce sont, là, en l’occurrence, les gouvernants.

Corrigé du commentaire de texte, sujet numéro 3 par M. Olivier Dhilly

Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique (1851).

Dans ce texte, Cournot s’interroge sur le caractère scientifique de la psychologie. Autrement dit, peut-on considérer la psychologie comme une science? Si la question se pose, c’est bien parce que l’on range la psychologie parmi les sciences humaines. Mais en quoi peut-on légitimement parler de science? la thèse de Cournot ici est claire ici, il souligne en quoi la psychologie qui repose avant tout sur l’introspection ne peut être qualifié de scientifique. Pour ce faire, il commence, dans un premier temps par énoncer les conditions permettant de dire qu’une observation est scientifique. Dès lors, dans un deuxième temps à partir de «Mais rien de semblable…» il s’attache à montrer que ces conditions ne sont absolument pas réunies lorsqu’il s’agit de mener une observation intérieure, une introspection. C’est ainsi en comparant la psychologie à d’autres sciences comme l’astronomie, la physique ou la biologie, qu’il fait mine d’interroger à savoir si l’on pourrait prétendre à une même scientificité en psychologie. C’est ainsi le statut de science dans cette discipline que nous qualifions de science humaine que Cournot récuse. Est-ce à dire alors que l’on ne puisse constituer aucune science de l’esprit? Mais plus généralement les conditions de scientificité énoncées par Cournot de remettent-elles pas en cause de nombreuses disciplines comme la philosophie?


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