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À New York, le Met Museum acculé par les saisies d'antiquités

Une statuette indoue, datée du milieu du VIe siècle, et une tête en marbre d'Athéna, sculptée vers 200 avant notre ère, font partie de l'ensemble de 22 pièces historiques saisies au Met, en juillet, par les inspecteurs américains.
Une statuette indoue, datée du milieu du VIe siècle, et une tête en marbre d'Athéna, sculptée vers 200 avant notre ère, font partie de l'ensemble de 22 pièces historiques saisies au Met, en juillet, par les inspecteurs américains. The Metropolitan Museum of Art

Une nouvelle perquisition ordonnée en juillet par la justice américaine visait vingt-deux pièces conservées par la prestigieuse institution. La liste croissante de biens pillés conservés entre ses murs interroge.

Les conservateurs du Metropolitan Museum of Art (Met), à New York, commencent à être familiers aux inspecteurs du district de Manhattan. Le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) a appris mercredi que le musée a fait l'objet à la mi-juillet de deux perquisitions qui ont abouti à la saisie de 22 antiquités. D'une valeur totale évaluée à plus de 11 millions de dollars, ce lot d'objets aurait été pillé longtemps avant d'entrer dans les collections du Met.

Ces deux dernières perquisitions concernaient la sculpture d'une déesse mère hindoue du milieu du VIe siècle, ainsi que 21 objets conservés dans les collections gréco-romaines du Met - dont une tête d'Athéna en marbre, plusieurs vases en céramique, de la vaisselle précieuse, des statuettes et des casques anciens. D'après les inspecteurs américains, cet ensemble d'antiquités serait passé par plusieurs réseaux notoires de trafiquants d'art italiens et britanniques, dont celui de Robin Symes, avant d'arriver dans les galeries du musée.

Condamné en 2005, à Londres, pour recel, Robin Symes est connu pour avoir cédé en 1988, au Getty Museum, la Vénus de Morgantina, une remarquable sculpture classique restituée en Italie en 2011. En l'an 2000, il avait fait don au Met d'une statuette en terre cuite d'une déesse grecque, saisie cet été.

Une kylix grecque attribuée au Peintre de la Villa Giulia. Datée des environs de 470 av. J.-C., cette coupe de banquet a été acquise en 1979 par le Met à une galerie suisse. Saisie en juillet, elle est estimée aujourd'hui à 1,2 million de dollars. The Metropolitan Museum of Art

Huit pièces ont également été acquises auprès de la galerie suisse de Gianfranco Becchina, un marchand d'art connu pour avoir blanchi des milliers d'antiquités grecques et italiennes entre les années 1970 et 2000. Le Met lui avait, entre autres, acheté en 1979 une belle kylix - une coupe à boire de banquet, très évasée - datée des environs de 470 avant notre ère. Ce vase délicat, orné d'une déesse faisant une libation, serait évalué aujourd'hui à environ 1,2 million de dollars.

Six perquisitions en douze mois

Il ne s'agit pas de la première saisie d'antiquités touchant aux collections anciennes du Met. En mai, cinq objets égyptiens avaient été confisqués au musée par les inspecteurs de l'État de New York dans le cadre de la même enquête tentaculaire qui, en France, a valu la mise en examen de l'ancien directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez. Ces pièces avaient été acquises entre 2013 et 2015 par le musée américain, quelques années après leur pillage à l'époque du chaos de la révolution égyptienne de 2011.

Les différents objets saisis ont vocation à être restitués par la justice américaine à leur pays d'origine. «Nous avons deux cérémonies de rapatriement prévu la semaine prochaine, d'abord avec l'Italie puis avec l'Égypte», a affirmé samedi pour CNN le bureau du procureur de Manhattan chargé de l'enquête. Les deux pays devraient récupérer 74 objets saisis ces derniers mois, dont 27 détenus jusqu'à il y a peu par le Met. En 2019, le musée avait déjà rendu à l'Égypte un somptueux sarcophage, plaqué d'or, acheté en 2017 dans des circonstances nébuleuses.

Depuis 2017, le Metropolitan Museum a fait l'objet de neuf mandats de perquisition, dont six ont été ordonnés au cours des douze derniers mois. Une accumulation embarrassante pour cette vénérable institution, qui collabore néanmoins, main dans la main, avec la justice américaine. «Les modalités d'acquisition des collections ont considérablement évolué au cours des dernières décennies», a assuré vendredi au New York Times une porte-parole du musée.

Près de dix perquisitions ont visé ces dernières années les collections antiques du Metropolitan Museum, suscitant des interrogations croissantes sur la manière dont le musée vérifie la provenance de certaines pièces. Ci-contre, une statuette romaine en bronze, datée de la fin du IIe siècle et représentant Jupiter. Estimée à 350.000 dollars, elle fait partie des antiquités saisies en juillet. The Metropolitan Museum of Art

Aux États-Unis, les manquements à répétition du Met commencent cependant à agacer. Les équipes du musée se voient désormais reprocher de ne pas s'être montrées plus vigilantes dans la nécessaire vérification de la provenance d'un certain nombre d'objets. D'autant qu'une partie des pièces saisies était associée de longue date à des trafiquants connus. «Les établissements d'excellence se doivent de mener des recherches sérieuses sur l'histoire et la constitution de leurs collections. Cela fait partie de la transparence attendue du musée», reproche ainsi, pour le New York Times, Derek Fincham, expert en biens culturels et professeur au South Texas College of Law, à Houston.

D'autres spécialistes jugent qu'il serait grand temps que le Met se remette en question, d'autant que l'institution n'est pas directement visée dans l'enquête. «Dans quel autre contexte pourriez-vous faire les gros titres aussi souvent pour avoir détenu des biens volés et ne pas subir de conséquences ?», s'interroge pour l'ICIJ Tess Davis, directrice de l'ONG Antiquities Coalition, spécialisée dans la protection du patrimoine culturel.

Du côté des enquêteurs new-yorkais, le colossal travail de recherche des biens pillés dispersés au sein des collections américaines se poursuit, en toute confidentialité. L'enquête, assure-t-on, n'est pas encore près de s'achever. «Le rythme des saisies s'accélère. Attendez-vous à ce que cela aille encore crescendo», a confié à l'ICIJ Matthew Bogdanos, procureur adjoint du disctrict de Manhattan. Les années diront s'il s'agit de nettoyer les écuries d'Augias ou de repousser sans fin le rocher de Sisyphe.

À New York, le Met Museum acculé par les saisies d'antiquités

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2 commentaires
  • Max Deferre

    le

    La cupidité des yankees n'a pas de borne.

  • anonyme

    le

    Et le British Museum?

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