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VOILE ISLAMIQUE

Iran : "Les femmes ne se laissent plus faire" face à la répression croissante de la police des mœurs

La répression de la police des mœurs s’est accrue avec l’arrivée au pouvoir de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi. Acculée par la crise économique, la population iranienne, prise en étau, exprime sa colère dans la rue depuis la mort, vendredi, d’une jeune femme arrêtée pour sa tenue vestimentaire et décédée trois jours plus tard.

Des femmes fuient la police anti-émeute lors d'une manifestation contre la mort de Mahsa Amini, dans le centre de Téhéran, le 19 septembre 2022.
Des femmes fuient la police anti-émeute lors d'une manifestation contre la mort de Mahsa Amini, dans le centre de Téhéran, le 19 septembre 2022. © AP / Photographe anonyme
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"La goutte d’eau qui fait déborder le vase". C’est ainsi qu’Azadeh Kian, professeure de sciences politiques à l’université Paris VII Diderot et spécialiste de l'Iran, qualifie la mort "suspecte" de Mahsa Amini, une jeune Iranienne de 22 ans, tombée dans le coma après son arrestation par la police des mœurs et décédée le 16 septembre dans un hôpital de Téhéran.

Depuis, le pays a vu se multiplier les manifestations pour dénoncer cette brigade, chargée de faire respecter l'obligation de se couvrir les cheveux et le corps jusqu'aux genoux. Les rassemblements se sont étendus à une quinzaine de villes, gagnant également la capitale et ses universités. À Téhéran notamment, les protestataires ont bloqué les rues, lancé des pierres sur les forces de sécurité, incendié des véhicules de police et des poubelles, et scandé des slogans antigouvernementaux, tels que "Mort à Khamenei [le guide suprême]".

Pour Azadeh Kian, la mort de Mahsa Amini est un catalyseur. La colère qui s’est emparée de la rue iranienne porte d’autres revendications : "Nombre des jeunes gens qui participent à ces manifestations sont au chômage, les femmes sont parmi les plus touchées par la pauvreté. Aujourd’hui on a l’impression que les Iraniens ne peuvent plus respirer. Ils sont frappés de plein fouet par la crise économique et ne supportent plus qu’on leur donne des ordres".

© reuters

Voiles défaits, pantalons serrés, jeans troués …

En Iran, se couvrir les cheveux en public est obligatoire en vertu de la loi islamique iranienne, fondée sur une interprétation stricte de la charia. La police des mœurs – connue officiellement sous le nom de Gasht-e Ershad, ou "patrouille d'orientation" – est chargée de veiller au respect de cette loi vestimentaire.

Or, aucune définition précise d’un port "correct" du voile n’est avancée, ce qui laisse ce pouvoir à la discrétion des autorités. Au gré des déclarations de dignitaires religieux et des dirigeants iraniens, il est devenu d’usage d’interdire aux femmes de porter des manteaux courts au-dessus du genou, des pantalons serrés et des jeans troués, ainsi que des tenues de couleurs vives. 

"La République islamique a sacralisé le voile dès ses débuts. C’est l’ayatollah Khomeini en personne qui a annoncé que le voile des femmes représentait le sang des martyrs", précise Azadeh Kian. Dès lors, les autorités du pays sont tombées leur propre piège. En présentant le voile comme l’honneur de la République islamique, elles en ont fait un objet politique. Aujourd’hui, elles se trouvent confrontées à une jeune génération remettant en question cette tenue vestimentaire imposée. "Il n’est pas étonnant de constater que la réponse des autorités soit de plus en plus forte et de plus en plus répressive", remarque Azadeh Kian.

Du Hezbollah au Ghast-e Ershad

Pour faire respecter le port du voile obligatoire, des milices informelles ont existé dès les prémices de la Révolution islamique en 1979. "Très vite, l’ayatollah Khomeini a dû prendre des mesures parce que ces brigades du Hezbollah s’en prenaient individuellement aux femmes et cela pouvaient donner lieu à des dérives, comme des jets d’acide au visage", explique Azadeh Kian.

Sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), les Ghast-e-Ershad ont pris une importance plus particulière, avec une présence accrue de leurs camionnettes blanches et vertes sur les boulevards et devant les centres commerciaux des grands centres urbains iraniens, traquant les "mal-voilées". Le dispositif est rôdé :  une fois remplis, les camions des Gahst-e Ershad prennent la direction d’un commissariat où les jeunes femmes arrêtées sont incarcérées le temps que leurs parents viennent les chercher avec des tenues "descentes".

Mais en parallèle, explique Azadeh Kian, "les femmes se montrent de plus en plus vindicatives. Elles ne se laissent plus faire et montrent leurs cheveux en désaccord avec le port du voile obligatoire en Iran". Il est assez commun de croiser en Iran, plus particulièrement dans les villes, des voiles défaits ou de larges mèches dépassant sur le front, des étoffes transparentes, voire pas de voile du tout. On parle d’ailleurs avec ironie de "voile décapotable" que les jeunes femmes s’empressent de remettre en place à la vue de la police des mœurs.

Une application interdite mais disponible sur smartphones, "Gershad", permet depuis 2016 d’avertir les usagers de la présence de ces brigades sur leur trajet. Sous l’ère de Mohammad Khatami (1997-2005) et de Hassan Rohani (2013-2021), deux présidents modérés, il n’était pas rare de voir ces brigades moquées, invectivées voire insultées.

"La différence, c’est aussi qu’aujourd’hui, tout est filmé et envoyé sur les réseaux sociaux. Et cette nouvelle génération est très consciente de son pouvoir face à ces brigades répressives", rappelle Azadeh Kian.

Carte blanche à la répression

"Il y a 10 ans, on pouvait discuter avec ces gens", observe Azadeh Kian. Mais les temps ont changé. "Le président Raissi a donné carte blanche à cette police, sous l’autorité du ministère de l’Intérieur, pour frapper, battre et faire respecter à tout prix ces lois par la population". Pour la chercheuse, la répression des Gasht-e Ershad s’est clairement accrue en 2021 avec l’arrivée au pouvoir de ce chef d’État ultraconservateur.  

Il est vrai que dans la République islamique d’Iran, la marge de manœuvre du président est restreinte. Toutefois, d’un gouvernement à l’autre, des différences de politiques sociales, notamment dans le domaine des mœurs, peuvent se faire sentir.

Un an après sa prise de mandat, Ebrahim Raissi, réputé pour son austérité et qualifié de traditionnaliste sur le plan des mœurs, commence à imprimer sa patte. "Toute opposition est réprimée. Voyez la vague d’arrestations de cinéastes iraniens comme Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof cet été", souligne Azadeh Kian.

Pourtant, depuis quelques jours, la mort de Mahsa Amini a ouvert la brèche aux critiques contre cette politique de répression des mœurs. Même parmi les parlementaires, certains appellent à freiner l'action des Gasht-e Ershad.

"Je crois qu'en raison de l'inefficacité du Gasht-e Ershad à faire comprendre la culture du hijab, cette unité devrait être supprimée, afin que les enfants de ce pays n'aient pas peur quand ils croisent cette force", a ainsi déclaré le parlementaire Moeenoddin Saeedi. Un autre député, Jalal Rashidi Koochi, cité par l'agence ISNA, a estimé quant à lui que cette police "cause des dommages au pays". "Afin d'éviter la répétition de tels cas, les méthodes utilisées par ces patrouilles d'orientation (...) devraient être revues", a affirmé de son côté le conservateur Mohammad Bagher Ghalibaf, président du Parlement. 

Selon l'Organisation pour la promotion de la vertu et la prévention du vice – une organisation influente affiliée à l'État iranien –, "il faut cesser d'arrêter et de poursuivre les personnes portant mal leur voile car cela a pour effet d'accroître les tensions sociales. Il faut amender la loi pour que cela soit considéré uniquement comme une infraction". Actuellement, les jeunes femmes arrêtées peuvent encourir jusqu'à trois mois de prison.

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