Cet article est extrait du mensuel Sciences et Avenir - La Recherche n°911, daté janvier 2023.
Capricieuse, terrible, imprévisible, sournoise… autant d'adjectifs associés à la sclérose en plaques (SEP), maladie inflammatoire du système nerveux central, la plus répandue dans les pays industrialisés. Première cause de handicap sévère non traumatique, elle concerne près de 100.000 personnes en France, dont deux tiers de femmes âgées en moyenne de 30 ans.
"Polymorphe par excellence " comme la cataloguait à la fin du 19e siècle le neurologue Jean-Martin Charcot, cette affection, que l'on ne parvient toujours pas à guérir, revêt en effet différentes formes. La plus fréquente (85 %), dite rémittente récurrente, évolue par poussées plus ou moins sévères, avec ou sans séquelles. Si environ 50 % des patients se stabilisent, les autres évoluent en cinq à dix ans vers une forme dite secondaire progressive, avec moins de poussées mais une croissance du handicap plus continue. Enfin, dans 15 % des cas, la maladie peut aussi survenir d'emblée sous une forme agressive dite primaire progressive, qui, elle, échappe à tous les traitements disponibles.
Cet article est extrait du mensuel Sciences et Avenir - La Recherche n°911, daté janvier 2023.
Capricieuse, terrible, imprévisible, sournoise… autant d'adjectifs associés à la sclérose en plaques (SEP), maladie inflammatoire du système nerveux central, la plus répandue dans les pays industrialisés. Première cause de handicap sévère non traumatique, elle concerne près de 100.000 personnes en France, dont deux tiers de femmes âgées en moyenne de 30 ans.
"Polymorphe par excellence " comme la cataloguait à la fin du 19e siècle le neurologue Jean-Martin Charcot, cette affection, que l'on ne parvient toujours pas à guérir, revêt en effet différentes formes. La plus fréquente (85 %), dite rémittente récurrente, évolue par poussées plus ou moins sévères, avec ou sans séquelles. Si environ 50 % des patients se stabilisent, les autres évoluent en cinq à dix ans vers une forme dite secondaire progressive, avec moins de poussées mais une croissance du handicap plus continue. Enfin, dans 15 % des cas, la maladie peut aussi survenir d'emblée sous une forme agressive dite primaire progressive, qui, elle, échappe à tous les traitements disponibles.
Aujourd'hui, selon les cas, les malades sont le plus souvent traités pendant de très longues années, avec différentes molécules non dépourvues d'effets secondaires (des infections en lien avec l'immunodépression) qui ont un lourd impact sur les dépenses de santé, le coût global (médical et socio-économique) de la SEP étant en France de 2,75 milliards d'euros par an, selon l'étude Antares de 2022. Or, il existe une tout autre approche, moins connue et plus radicale, réservée à certaines formes de la maladie.
Crédit : AFP, Sabrina BLANCHARD / AFP
Un coût d'environ 50.000 euros
De quoi s'agit-il ? D'une thérapie cellulaire se déroulant en plusieurs étapes (voir encadré ci-dessous) : l'autogreffe de cellules souches hématopoïétiques est capable en une seule fois (pour un coût d'environ 50.000 euros) de freiner la progression de la maladie avec environ 80 % d'efficacité, tous protocoles confondus.
Cinq étapes pour une autogreffe
1 Mobilisation des cellules souches hématopoïétiques : À la suite d'une chimiothérapie, un facteur de croissance hématopoïétique (G-CSF) est injecté par voie sous-cutanée pendant sept jours pour permettre aux cellules souches hématopoïétiques (CSH) d'être libérées dans le sang.
2 Collecte des cellules souches : Le patient est perfusé à un séparateur de cellules, une machine qui sépare spécifiquement les différentes cellules du sang par centrifugation. Deux voies veineuses sont nécessaires pour cette technique : l'une permet l'entrée du sang dans le séparateur, l'autre sa restitution.
3 Phase de congélation : Les CSH prélevées sont congelées et conservées jusqu'à la date prévue de l'autogreffe dans un laboratoire de thérapie cellulaire.
4 Mise en aplasie du patient : Six semaines après le recueil des CSH, le patient reçoit une chimiothérapie qui détruit ses cellules immunitaires "malades". Il est alors en aplasie (sans globules rouges, blancs, plaquettes) pendant environ quinze jours et reste hospitalisé en chambre stérile.
5 Réalisation de l'autogreffe : Les CSH sont décongelées et réinjectées dans le sang par un cathéter. Cela permet la formation de nouvelles cellules sanguines et immunitaires remplaçant les anciennes, détruites à la phase 4.
"Le système immunitaire des patients est remis à zéro et réinitialisé ", résume le Pr Dominique Farge, spécialiste des maladies immunitaires à l'hôpital Saint-Louis, à Paris. Il défend cette approche depuis plus de vingt ans et coordonne avec un ensemble de spécialistes (hématologues, neurologues, immunologistes…) le groupe Mathec (Maladies auto-immunes et thérapie cellulaire), dont le but est de développer des thérapies cellulaires innovantes pour améliorer la prise en charge des patients atteints de maladies auto-immunes comme la SEP, mais aussi d'autres pathologies auto-inflammatoires non malignes (sclérodermie, maladie de Crohn…).
Longtemps méconnue des neurologues, cette approche d'autogreffe était récemment au cœur d'une session spéciale lors du rendez-vous annuel des neurologues, au 38e congrès européen de la SEP, l'Ectrims (European Committee for Treatment and Research in Multiple Sclerosis), qui se déroulait à Amsterdam (Pays-Bas) fin octobre 2022. Une mise en lumière qui doit désormais se poursuivre par la parution d'un guide pratique de recommandations européennes, en cours de rédaction par les neurologues européens, afin de combler leur retard sur leurs collègues nord-américains.
Dans le même temps, l'autogreffe vient aussi de faire l'objet, en France, d'un tout récent Protocole national de diagnostic et de soin (PNDS), le fruit d'un travail de deux ans, un document validé par la Haute Autorité de santé à destination des médecins généralistes et neurologues libéraux pour en préciser les modalités.
Un protocole sous haute surveillance hospitalière
En pratique, cette approche repose sur la reconstitution du système immunitaire défaillant grâce aux cellules souches sanguines naturellement présentes dans la moelle osseuse des patients. L'astuce consiste, dans un premier temps, à utiliser différents traitements chimiques pour "faire sortir" de la moelle osseuse (et mobiliser) les cellules souches vers le sang afin de les rendre accessibles.
Une fois recueillies par cytaphèrèse (un dispositif capable de trier les cellules et de réinjecter le sang), les cellules sont congelées puis réinjectées au patient au moment de la greffe. Juste avant, le patient reçoit une chimiothérapie intensive pour détruire son système immunitaire, qui se reformera ultérieurement avec les cellules souches hématopoïétiques greffées.
Ce protocole se déroule toujours en milieu hospitalier, sous surveillance attentive tant hématologique que neurologique, chez des patients de moins de 60 ans, qui à un moment sont en aplasie, sans cellules immunitaires, ce qui les rend très fragiles et sensibles aux infections. "Il ne s'agit aucunement d'un traitement universel destiné à tous, mais d'une alternative réservée aux personnes en échec avec les traitements usuels et aux formes dites actives, présentant à la fois une expression clinique (une poussée) et des signes radiologiques à l'IRM ", insiste Dominique Farge.
L'IRM permet de visualiser les plaques d'inflammation dans le système nerveux central (ici en rouge, dans le cerveau), caractéristiques de la SEP. Crédit : SPL/ PHANIE
Les résultats se sont considérablement améliorés
Cette approche est suivie par d'autres équipes à travers le monde, notamment en Italie, au Canada ou aux États-Unis. C'est le cas de celle de Richard Burt, de l'Université Northwestern, à Chicago (États-Unis), qui a publié en 2019 dans la revue Jama une étude importante sur une centaine de patients. Elle démontre qu'à un an, l'autogreffe de cellules souches est supérieure aux traitements classiques. Des résultats d'ailleurs confirmés par cette même équipe en mai 2022, avec une autre étude, menée cette fois sur 500 patients et publiée dans Journal of Neurology.
Or, curieusement, si entre 1995 et 2020, près de 300 patients en Italie (autant en Grande Bretagne et aussi en Suède) ont bénéficié de cette approche de thérapie cellulaire, ils ne sont qu'une trentaine en France, soit dix fois moins, selon les données de la Société européenne de greffe de moelle (European Society for Blood and Marrow Transplantation). Pourquoi de telles différences de pratiques alors que l'incidence (8 pour 100.000 habitants) et la prévalence (100 pour 100.000) de la maladie sont quasi identiques dans les trois pays ? Parce que dans l'Hexagone, l'autogreffe demeure peu connue et nettement moins médiatisée que les biothérapies, avancent ses partisans, quand ses détracteurs pointent, eux, la lourdeur du traitement, raison principale de leur réticence à la proposer aux patients.
"Lors des toutes premières greffes, le taux de mortalité de l'autogreffe se situait autour de 5 %, précisait à l'Ectrims le Pr Paolo Muraro, neurologue à l'Imperial College de Londres (Royaume-Uni). Or, depuis, les protocoles se sont considérablement améliorés et ce taux a radicalement chuté, se situant aujourd'hui entre 0,2 et 1 %. " Une donnée rassurante qui n'a toujours pas été bien entendue et diffusée auprès de la communauté neurologique.
Néanmoins, face à cette curieuse maladie tout à la fois inflammatoire, auto-immune et neurodégénérative, dont les circonstances de déclenchement demeurent mystérieuses, il manque encore certaines données. Comme l'évoquaient les experts européens réunis à Amsterdam, une harmonisation des pratiques de greffes entre les équipes serait la bienvenue, tout comme la mise au point de biomarqueurs de tolérance, afin d'améliorer le suivi des patients après la greffe.
En attendant, grâce au travail du groupe Mathec, "des réunions bimensuelles dites de RCP (réunion de concertation pluridisciplinaire) permettent de bien sélectionner les dossiers des patients candidats, un critère essentiel d'efficacité de la greffe ", précise le Dr Louis Terriou, neurologue au CHU de Lille, l'un des centres pionniers (avec Paris, Rennes, Poitiers et Montpellier) dans la pratique des autogreffes contre la SEP. "Mais les dossiers nous sont encore parfois adressés de manière trop tardive ", regrette Dominique Farge, la maladie étant alors trop évoluée pour que les patients puissent tirer un bénéfice de l'autogreffe. Et ce sont souvent ces patients récusés de greffe qui choisissent alors de se rendre en Inde, au Mexique et auparavant en Russie, où des cliniques proposent des traitements peu standardisés.
D'autres sources de cellules souches se profilent
Selon les experts réunis à l'Ectrims, les résultats à venir de nombreux essais de phase 3 en cours (RAM-MS, STAR-MS, BEAT-MS… ), comparant l'autogreffe aux molécules aujourd'hui les plus prescrites (alemtuzumab, ocrelizumab…), seront éclairants. Mais déjà se profilent d'autres sources de cellules souches, celles dites mésenchymateuses stromales, présentes non pas dans le sang mais, par exemple, dans la graisse ou le cordon ombilical, et bien plus faciles d'accès. Un essai chez l'animal doit justement démarrer bientôt à Rennes.