Le gouvernement s’apprête à tourner une page dans la gestion des chèques impayés. Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a annoncé l’adoption prochaine d’une réforme qui mettrait fin à certaines poursuites pénales liées aux chèques sans provision, en introduisant un traitement plus souple et plus humain de ces litiges.
Devant les parlementaires, Ouahbi a précisé que cette réforme vise à désenclaver le droit pénal d’affaires civiles, en supprimant les peines de prison automatiques dans plusieurs cas. Elle devrait notamment soulager les tribunaux, souvent saturés par des dossiers de chèques impayés pour des montants parfois modestes.
Fin des poursuites si le chèque est réglé
L’un des piliers de la réforme repose sur un principe clair : le paiement du montant du chèque, accompagné d’une amende allant de 1 à 5% au profit de l’État, entraînera la fin immédiate des poursuites judiciaires. Cette mesure s’appliquera quelle que soit la situation judiciaire de l’émetteur du chèque — même s’il est en détention ou en fuite.
Il s’agit d’un changement de paradigme qui renverse la logique punitive jusque-là appliquée. Au lieu d’une sanction pénale systématique, l’État privilégiera la réparation financière. Une manière d’encourager les débiteurs à régulariser leur situation plutôt que de fuir la justice, et d’éviter que des contentieux économiques ne se transforment en dossiers carcéraux.
Entre conjoints, le litige devient civil
Autre volet important de la réforme : la dépénalisation des chèques émis entre époux. Lorsqu’un chèque sans provision est échangé dans le cadre d’une relation conjugale, le contentieux relèvera désormais du droit civil et non plus du droit pénal. En clair, plus de risque de prison dans ces cas-là.
Selon Ouahbi, cette mesure vise à réduire les détournements du système judiciaire pour régler des différends familiaux. Elle répond aussi à une réalité fréquente : de nombreuses affaires de chèques entre époux sont en fait des conséquences de litiges personnels, et non des délits commerciaux. En désengorgeant les tribunaux pénaux, la réforme recentre leur mission sur les affaires véritablement criminelles.
Bracelet électronique et délai de grâce
La réforme introduit également un mécanisme innovant pour les débiteurs de bonne foi : une période de grâce d’un mois, durant laquelle la personne mise en cause pourra porter un bracelet électronique. Ce sursis vise à donner une dernière chance au débiteur de régulariser sa situation avant toute mesure d’incarcération.
Si le montant du chèque est réglé dans ce délai, l’affaire est close. À défaut, la partie plaignante pourra accorder un mois supplémentaire, toujours sous surveillance électronique. Ce dispositif, inspiré des pratiques internationales, permet d’éviter des détentions arbitraires tout en garantissant un minimum de sécurité juridique et sociale.
Un seuil financier encore à définir
La question du montant minimal à partir duquel une poursuite pénale restera envisageable n’est pas encore tranchée. Certains suggèrent un seuil de 5.000 dirhams, tandis que d’autres plaident pour 20.000 dirhams. Le ministre a reconnu que les discussions étaient encore en cours avec Bank Al-Maghrib.
Ce seuil, une fois fixé, déterminera le périmètre de la dépénalisation. Il vise à préserver une certaine rigueur dans les cas graves, tout en désamorçant les litiges mineurs. Le Maroc tente ainsi de trouver un équilibre entre protection des créanciers et respect des droits des débiteurs, dans un contexte économique où les difficultés de trésorerie sont fréquentes.
Un alignement sur les standards internationaux
Pour Ouahbi, cette réforme s’inscrit dans une volonté d’aligner le droit marocain sur les pratiques internationales. De nombreux pays ont déjà supprimé les sanctions pénales pour les chèques sans provision, préférant des mécanismes de compensation ou de médiation.
Le ministre reconnaît que le Maroc est en retard sur ce point. La réforme annoncée ne vise pas seulement à désengorger les tribunaux, mais aussi à renforcer la sécurité juridique et la confiance dans les instruments de paiement. Elle pourrait aussi encourager un recours plus large au chèque, en réduisant la peur de sanctions disproportionnées en cas d’incident.