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Édito. Le vrai scandale n’est pas sur la pellicule

Par EL BARHRASSI Meryem -le

Édito. Le vrai scandale n’est pas sur la pellicule
Une scène de fiction, autorisée et encadrée, suscite un tollé national. Pendant ce temps, les violences bien réelles faites aux femmes continuent dans l’indifférence. Quand l’hypocrisie supplante l’indignation, c’est la société tout entière qui perd pied.

Le Maroc vient de vivre un nouvel épisode de grande indignation. Cette fois, pour un baiser. Pas un geste volé, pas une provocation gratuite, mais une scène de tournage, encadrée, autorisée, interprétée par deux comédiens étrangers sur la place du 9 Avril à Tanger. Résultat : plainte officielle, cris à la décadence morale, appels au boycott, pétitions, et même accusations de “complot contre la nation”.

 

Pendant ce temps-là, que se passe-t-il lorsqu’une femme se fait harceler dans la rue, frapper, agresser, ou violer – parfois en plein jour, parfois filmée aussi ? Rien. Pas de communiqué. Pas de plainte. Pas d’indignation collective.

 

Le pays tout entier s’enflamme pour un baiser de fiction, mais détourne le regard quand il s’agit de violences bien réelles. Ce double standard, cette hiérarchie de l’indignation, est glaçante. Elle en dit long sur les priorités d’une société qui semble plus préoccupée par l’image que par la justice.

 

La scène de Tanger était issue d’un projet culturel, validé par les autorités. Et pourtant, elle est devenue le symbole d’une prétendue “menace morale”. Mais où sont ces mêmes voix quand une adolescente se suicide après un viol ? Quand une victime est sommée de garder le silence pour “préserver l’honneur familial” ? Quand les institutions censées protéger échouent à agir ?

 

Les réseaux sociaux, souvent transformés en tribunaux populaires, jugent avec une rapidité affolante. Mais la sélectivité de leur colère en dit long : la pudeur prime sur la dignité. Un baiser provoque plus de débats qu’un viol. Un tournage artistique suscite plus de peur qu’un féminicide.

 

Le plus terrible dans cette affaire, c’est ce qu’elle révèle : un pays prêt à tout pour sauver les apparences, mais bien moins prompt à affronter la violence quotidienne que subissent des milliers de femmes. Des insultes banalisées. Des plaintes ignorées. Des agresseurs protégés. Des victimes oubliées.

 

Alors non, le scandale n’est pas une scène tournée sur une place publique. Le scandale, c’est cette société qui continue de tolérer l’intolérable, de hiérarchiser les violences, de s’indigner à géométrie variable.

 

Tant que l’on criera plus fort pour un baiser que pour un cri d’alerte, tant que l’on jugera la fiction plus dangereuse que la réalité, alors oui : nous participerons collectivement à cette hypocrisie meurtrière.

 

Et dans ce grand théâtre social, ce n’est pas la scène qui choque. C’est notre silence.

 

Et puisqu’on est dans l’indignation à géométrie variable, parlons aussi de ce sommet d’absurde : une plainte vient d’être déposée contre 2M. Le motif ? Avoir diffusé le concert d’ElGrande Toto… sans censurer ses paroles. Dans un pays où des chaînes publiques laissent parfois passer des débats ineptes ou des pubs douteuses en boucle, ce sont les rimes d’un rappeur qui choquent le plus. Les gros mots dérangent, mais pas les silences sur les violences. On préfère attaquer la télé pour un « wesh » balancé sur scène, plutôt que d’interroger ce que disent vraiment ces textes, leur résonance dans une jeunesse qui n’a plus de filtre, parce qu’elle n’a plus confiance. Il faut croire qu’au royaume de la censure sélective, la musique est un danger plus grave que l’impunité.


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