La polémique enfle depuis une visite tendue à l’hôpital Mohammed V de Meknès. Une phrase lancée au détour d’un échange — « Va à Rabat et proteste » — a suffi à enflammer les réseaux sociaux. Lundi soir, sur 2M, Amine Tahraoui a tenu à remettre les pendules à l’heure : « Ma phrase a été mal interprétée. Je ne faisais qu’inviter un responsable local à signaler directement les blocages administratifs au ministère lorsque les relais régionaux ne réagissent pas. »
Le ministre a décrit une situation qu’il juge alarmante : manque de médicaments, appareils médicaux en panne, absence de coordination. Une réalité qu’il dit avoir constatée sur place, et qu’il a dénoncée publiquement, sans fard ni détour.
Entre colère et lucidité
En poste depuis moins d’un an, Tahraoui s’est forgé une image rare dans le paysage gouvernemental : celle d’un ministre qui parle clair et agit sans filtre. Loin des discours convenus, il assume la gravité de la crise sanitaire tout en refusant de se réfugier derrière des excuses politiques.
« Je ne peux pas accepter ces conditions, ni comme ministre, ni comme citoyen », a-t-il lancé, soulignant que même le personnel médical vit la situation comme une injustice.
Sa sortie médiatique tranche avec l’habitude du silence. Et si elle dérange certains, elle marque une rupture assumée avec les postures bureaucratiques d’un ministère longtemps miné par les lenteurs et les luttes d’influence.
Le bras de fer avec les cliniques privées
Au-delà de la polémique, Tahraoui a également confirmé avoir suspendu plusieurs dossiers d’aides publiques destinées à des cliniques privées. Sept établissements étaient concernés, selon lui. « J’ai demandé à la Commission nationale des investissements de geler ces soutiens, le temps de réévaluer notre relation avec le privé », a-t-il expliqué.
Le ministre ne rejette pas le partenariat public-privé, mais s’interroge sur sa logique. « Le secteur privé est déjà rentable. Les patients y vont et la CNSS rembourse. Pourquoi continuer à le subventionner ? » a-t-il lancé. Certaines cliniques ont nié avoir reçu des aides, mais le ministre maintient : des demandes formelles ont bien été déposées.
Tahraoui veut conditionner les futurs appuis à des engagements concrets, notamment dans les régions sous-dotées, où le manque de médecins reste dramatique. « On ne peut pas encourager une clinique qui débauche le personnel des hôpitaux publics », a-t-il tranché.
Un système à deux vitesses
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 177 hôpitaux publics contre 453 cliniques privées. Un déséquilibre flagrant qui illustre la fracture du système sanitaire. Casablanca-Settat concentre à elle seule 27 hôpitaux pour 142 cliniques privées, suivie par Rabat-Salé-Kénitra (70 cliniques) et Marrakech-Safi (54). À l’inverse, des régions comme Drâa-Tafilalet, Béni Mellal-Khénifra ou le Sud du pays accusent un retard criant.
Pour le ministre, cette cartographie est intenable : « L’investissement doit suivre les besoins du citoyen, pas le rendement économique. »
Une réforme à visage humain
Amine Tahraoui sait qu’il marche sur un terrain miné. Ses mots agacent, ses décisions bousculent, mais il avance. Pas en donneur de leçons, mais en réformateur lucide. « Je préfère être critiqué pour avoir agi que félicité pour avoir gardé le silence », a-t-il déclaré.
Les réactions à sa prise de parole révèlent autant la fragilité du système que la solitude de ceux qui osent le défier. Tahraoui le sait : la réforme du secteur de la santé passe par un affrontement frontal avec des intérêts ancrés depuis des décennies. Mais il continue de plaider pour une refonte du rapport entre l’État et les citoyens. « Les Marocains n’attendent plus des promesses, mais des actes », répète-t-il.